Déceler les violences sexuelles faites aux femmes

Déceler les violences sexuelles faites aux femmes

Mis à jour le 24 juin 2016

Un article d’Evelyne Josse, psychologue, praticien EMDR, sur le thème : Déceler les violences sexuelles faites aux femmes
Les violences sexuelles exercées contre les femmes constituent un problème de santé publique
important et ce partout dans le monde. En effet, elles ont de profondes répercussions à court
et long termes sur la santé physique et psychologique des victimes ainsi que sur leur bien-être
social. A titre illustratif, selon l’OMS, la violence serait la dixième cause de décès chez la
femme entre 15 et 44 ans.
Une aide médicale [1] adéquate ne peut être offerte aux victimes que si l’agression est connue des intervenants potentiels. Or, nombre d’entre elles répugnent à révéler les outrages subis.
Néanmoins, elles manifestent généralement leur souffrance par le biais de signes physiques,
comportementaux ou psychologiques mais les intervenants sont souvent peu à même de les
déceler.
La problématique des violences sexuelles concerne tous les professionnels de la santé. Cet
article a pour but de les aider à repérer les signes pouvant faire suspecter une agression à
caractère sexuel .

L’allégation de violence sexuelles

Allégation de violences sexuelles et assistance aux victimes

Les données disponibles sur les violences sexuelles proviennent de la police et des instances
juridiques, des services médicaux, des organisations non gouvernementales (Droits de
l’Homme, organismes humanitaires, juridiques, etc.), des associations internationales,
nationales et locales (associations contre la violence, de femmes, des Droits de l’enfant, etc.),
d’enquêtes et d’études diverses. Les données recensées par ces différentes sources sont
cependant souvent incomplètes et ne révèlent que la partie émergée de l’iceberg. En effet,
selon IRC, seulement une victime sur 30 avoue avoir été agressée [2]. Il est donc difficile
d’estimer le nombre total de victimes et parmi elles, le pourcentage bénéficiant d’une prise en
charge spécifique (médicale, juridique, psychologique ou sociale).
A titre d’exemple, citons deux études, celle de Human Rights Watch (2005) et celle d’AVEGA
(1999).
D’après Human Rights Watch [3], au niveau mondial, seulement 53% des femmes cherchent de
l’aide après un viol. Parmi celles-ci, 80% s’adressent au secteur médical (hôpitaux, centres de
santé, tradipraticiens). La majorité d’entre elles demandent assistance en moyenne 5 mois
après le viol [4].
Une étude menée par l’association AVEGA sur 951 femmes violées durant le génocide
perpétré au Rwanda en 1994 [5] montre que 57,9 % n’ont reçu aucune assistance. 13 % d’entre
elles ont eu des soins médicaux mais 6 % seulement ont été examinées par un médecin. Les
femmes ayant bénéficié d’une intervention résidaient toutes dans les centres urbains. Celles
issues des milieux ruraux n’ont reçu aucune assistance (manque d’information, impossibilité
de se déplacer, etc.).

Du viol à la demande d’assistance médicale

D’après le rapport de Human Rights Watch cité ci-dessus [6], les préoccupations majeures
exprimées par les femmes victimes de violences sexuelles sont la peur d’avoir contracté une
maladie sexuellement transmissible (en particulier le SIDA), les douleurs au niveau abdominal
et pelvien (faisant redouter une infection vénérienne) ainsi que la crainte d’être stigmatisées
par leur communauté.
Au Burundi, les femmes consultant le centre Seruka [7] après un viol manifestent principalement
leur peur d’être infectées par le SIDA et celle d’être enceintes [8].
Nous le voyons, les inquiétudes majeures des femmes victimes de violences sexuelles relèvent
du médical. Lorsqu’elles demandent assistance, c’est donc généralement vers les services de
santé (classiques ou traditionnels) qu’elles se tournent, comme le démontre Human Rights
Watch (80% des victimes cherchant de l’aide s’adressent au secteur médical). Il est donc
essentiel qu’elles puissent y recevoir les soins adéquats.

Les freins à la prise en charge des victimes de violences sexuelles

Du côté des victimes
Nombre de victimes hésitent à dénoncer les violences sexuelles qu’elles ont subies que ce soit
à la police, à leur famille ou à d’autres personnes. Les raisons en sont multiples et variées.
- La peur de l’opprobre, du rejet et de la rétorsion.
La sexualité cristallise de nombreuses valeurs et de multiples tabous, tant personnels que
sociaux. En effet, la majorité des individus répugnent à envisager la sexualité en dehors
d’un contexte précis (relation amoureuse, maritale) et toute contrainte provoque détresse
et humiliation. Par ailleurs, toutes les sociétés régulent, codifient, fixent, voire légifèrent,
l’accès à la sexualité. Ainsi, une relation sexuelle est permise avec un partenaire répondant
à des critères spécifiques mais l’envisager dans tout autre cadre est prohibé. Par exemple,
dans certaines cultures, les relations sexuelles et le mariage ne sont concevables qu’avec un
individu d’une ethnie, d’une tribu ou d’une religion déterminées alors que pour d’autres, le
consentement du partenaire, quelle que puisse être son origine, est un pré-requis
indispensable. Pour la plupart des communautés, l’accès à la sexualité est soumis à l’âge
des individus et pour toutes, l’inceste est strictement interdit. Contrevenir à ces règles
expose le plus souvent à l’opprobre, voire au rejet social. L’importance de la sexualité et du contrat social dont elle est l’objet tient au fait que dans la plupart des sociétés, les
groupes s’unissent et s’allient en mariant leurs enfants. Ces alliances sont par ailleurs
renforcées par la progéniture qui naît des unions.
Au vu de l’importance que revêt la sexualité pour les individus et pour les communautés,
on comprend mieux pourquoi dans de nombreuses sociétés, les personnes sexuellement
agressées sont jugées coupables des actes perpétrés contre elles. Dès lors, les victimes se
taisent parce qu’elles craignent :

  • Le rejet social. Stigmatisées et mises au ban de leur communauté, les femmes violées sont parfois victimes d’un véritable « meurtre social ».
  • Le rejet familial.
    Peu ou prou, l’annonce d’un viol engendre des effets négatifs sur les relations conjugales entravant souvent gravement la sexualité et les rapports affectifs. Dans les sociétés traditionnelles, la femme mariée est souvent rejetée ou abandonnée par son mari (soit qu’il l’a répudie soit qu’il déserte le domicile conjugal pour des périodes de plus en plus longues). Lorsqu’il poursuit la vie commune, il néglige souvent son épouse violée, s’en distancie, voire la maltraite. Dans les pays qui autorisent la polygamie, il n’est pas rare qu’il prenne une seconde épouse.
    Les jeunes femmes célibataires courent le risque d’être chassées du domicile familial et se trouvent dans l’impossibilité de se marier. En effet, dans de nombreuses cultures, la virginité et la chasteté des filles reflètent l’honneur de la famille. Dès lors, les agressions sexuelles sont perçues comme une honte et les victimes déshonorées, indignes de prétendre au mariage.
  • L’incarcération. Dans certains pays, la femme sexuellement agressée peut être emprisonnée pour crime d’adultère si elle ne peut prouver qu’il s’agit d’un viol et non d’une relation consentie.
  • La maltraitance ou le meurtre. Certaines femmes sont assassinées par un membre de leur famille pour laver la honte et recouvrer l’honneur familial. Il existe également un risque accru de maltraitance de la part de la communauté, la femme violée étant socialement disqualifiée.

- Le mariage forcé avec leur agresseur. Dans les pays où la virginité de la femme est une
question d’honneur familial, les femmes célibataires sont souvent contraintes
d’épouser leur agresseur.
- La peur des représailles.
Les victimes redoutent souvent des représailles par
l’auteur des faits ou par sa famille. C’est principalement le cas lorsqu’elles connaissent
leur agresseur (un partenaire sexuel, le conjoint, un membre de la famille, un voisin,
le proxénète, etc.) ou lorsqu’il s’agit d’une personne influente (un enseignant, un
religieux, une autorité traditionnelle, un employeur, etc.) ou ayant autorité (un
militaire, une autorité administrative, le responsable d’un camp, etc.).
- Des sentiments d’humiliation.
Certaines victimes peuvent se sentir gênées,
honteuses, déshonorées, souillées, coupables par rapport à leur propre comportement (par exemple, de ne pas s’être défendue) ou par rapport à autrui (par
exemple, d’avoir infligé le déshonneur à la famille) et donc refuser de parler de leurs
difficultés.
- La minimisation du problème.

  • Un continuum de violence. Pour certaines femmes, les agressions sexuelles s’inscrivent dans un continuum de violence verbale, physique et psychologique. C’est notamment le cas lorsqu’elles subissent la violence au sein de leur foyer. Elles ne pensent pas à déclarer les rapports sexuels forcés car il leur est malaisé de les isoler des autres aspects de la violence qu’elles subissent.
  • Un contexte de violence généralisée. Dans les contextes de guerre, une agression sexuelle peut n’être qu’une des violences vécues parmi d’autres tels que l’assassinat du mari, la disparition d’un enfant, la perte des biens, l’exode, etc.
  • Une défense psychologique. Certaines femmes tentent de gérer l’impact de l’agression en minimisant la gravité de ses conséquences et se disent : « Ca va passer, je vais oublier ». Elles refusent donc d’évoquer les souvenirs douloureux et évitent tout ce qui leur rappelle l’agression.

- Les normes propres à une communauté.

  • La religion. Si elle condamne les relations sexuelles en dehors des liens du mariage, dussent-elles être contraintes, la religion de la victime représente un frein aux allégations d’agressions sexuelles.
  • Les normes propres à la culture. Certaines normes culturelles, par exemple l’interdiction de se plaindre, de faire étalage de ses difficultés ou de parler de son intimité, peuvent également être un obstacle.

- Le manque d’accès aux soins.
La demande d’assistance est également réduite à
cause :

  • du manque d’information.
    Des actes considérés comme des violences sexuelles par la communauté internationale peuvent ne pas l’être d’un point de vue culturel ou par manque d’information des victimes. Par exemple, les viols civils sont fréquents en milieu rural au Burundi mais ne sont pas toujours considérés comme tels. Si une femme pense qu’elle ne peut refuser une faveur sexuelle à un homme, elle n’aura pas conscience d’être violée si un voisin abuse d’elle. Dès lors, elle ne portera pas plainte car elle ne reconnaît pas certaines pratiques comme des agressions.
    Dans d’autres cas, les victimes ignorent qu’elles peuvent recourir à une aide, notamment médicale (en fonction des pays, citons la prévention d’une grossesse non désirée, la prévention et le traitement des infections sexuellement transmissibles [9], du SIDA [10] et de l’hépatite B, la prévention du tétanos et le traitement des lésions).
  • du manque de structures aptes à répondre aux besoins des femmes violentées. Dans de nombreux pays, ces structures sont inexistantes, inappropriées ou insuffisantes.
  • des difficultés d’accès aux services ad hoc.
    Les services sont parfois éloignés du lieu de résidence des victimes. Dans certaines régions enclavées, les centres de santé se trouvent à plusieurs jours de marche.
    Dans les contextes de conflit, l’insécurité rend les déplacements dangereux.
  • de difficultés économiques.
    Les pauvres et les indigentes ne peuvent s’acquitter des sommes demandées pour les soins, les médicaments et/ou les transports.
    Certaines épouses préfèrent s’abstenir d’engager des dépenses qu’elles auront à justifier auprès de leur époux. Craignant d’être rejetées par leur mari, elles évitent de leur révéler l’agression si la situation le permet.
  • du manque de confiance de la population dans les structures existantes.
  • du sexe du personnel médical. Dans certains pays, en raison de l’accès réservé aux études, la majorité des personnes qualifiées et diplômées sont de sexe masculin. Or, les victimes peuvent craindre les hommes ou être gênées de leur dévoiler leur intimité.
  • du manque de confidentialité. Dans les pays où les victimes courent le risque d’être stigmatisées, elles répugnent à visiter le centre médical de leur région car elles craignent que le personnel médical ne déroge au secret professionnel (surtout en zone rurale où tous se connaissent) ou redoutent d’être vues par des personnes du voisinage. Consulter un centre éloigné du domicile est généralement difficile, la femme ne pouvant s’absenter du foyer sans devoir justifier une absence de longue durée (l’aller-retour au centre de santé du district voisin peut prendre la journée entière, voire davantage). Or, nous l’avons vu, elles souhaitent le plus souvent que leur mari ignore l’agression.

- Dans le cas des violences domestiques, les femmes appréhendent les conséquences
qu’une telle déclaration risque d’entraîner.

  • En cas de rupture, elles peuvent craindre, par exemple, que leur mari ne les prive de leurs enfants ou de son soutien économique.
  • Dans de nombreuses sociétés, la femme seule, privée de protection et de soutien financier, court davantage de risques d’agression et d’exploitation. Dans les camps de réfugiés, par exemple, les cartes donnant accès à la distribution de nourriture ne sont parfois délivrées qu’aux hommes. Dans certains contextes, certaines femmes sont donc plus en sécurité en couple que séparées et ce, malgré les violences domestiques qu’elles endurent.
  • Dans les cultures d’honneur, elles peuvent subir des pressions importantes de la part de leur famille et de leur communauté qui réprouve le divorce.
  • Elles peuvent aussi redouter les menaces et les représailles de leur partenaire.
  • Souvent aussi, elles espèrent qu’avec le temps, la violence va cesser.

Du côté des intervenants potentiels
La violence sexuelle est un sujet provoquant des réactions émotionnelles fortes. Dans de
nombreux pays, le personnel médical, notamment celui opérant en milieu hospitalier, peut se
montrer réticent parce qu’il a peu d’expérience et ne s’estime pas compétent dans ce domaine.
De plus, il est souvent débordé par la charge de travail qui lui incombe déjà et n’est pas prêt à
libérer le temps nécessaire pour écouter les victimes de violences. En outre, les violences
sexuelles ne sont généralement pas considérées comme une priorité pour leur service, surtout
lorsque le dommage pour la victime est d’ordre psychologique et non physique. De plus, les
intervenants sont souvent mal à l’aise et peuvent vouloir éviter de parler d’un sujet touchant
au tabou de la sexualité. Ils peuvent également considérer que tout ce qui appartient aux
relations intimes est d’ordre privé ou bien encore que les agressions à caractère sexuel sont
inhérentes au contexte dans lequel ils vivent (contexte de guerre, camps de réfugiés, centre
urbains surpeuplés à haut taux de criminalité, etc.).

Signes faisant suspecter une agression sexuelle

Si certaines personnes adressent une demande d’aide médicale en déclarant avoir été violées, la majorité consulte pour des motifs indirects sans révéler l’agression (par exemple, pour un test HIV, un test de grossesse en urgence, des douleurs pelviennes ou abdominales, etc.). Dans
certains cas, les patientes ne sont même pas conscientes du fait que les symptômes qu’elles
présentent sont liés aux violences subies. Néanmoins, les victimes manifestent généralement
des troubles physiques, psychologiques et sociaux qui constituent, pour les professionnels
avertis, des signes d’appel permettant de repérer l’agression sexuelle.
Idéalement donc, les médecins, les infirmiers, les agents de santé et les accoucheuses devraient être formés pour être à même d’identifier les personnes ayant subi des violences sexuelles, de conduire l’examen médical initial et le follow-up, de les accueillir dans les meilleures conditions et de leur offrir un soutien psychologique dans le cadre de leurs activités spécifiques, de faire les références adéquates (médicales, psychologiques, sociales et juridiques) et d’établir la collecte des données.
Dans ce chapitre, nous allons aborder les différents signes devant faire suspecter une
agression à caractère sexuel.

Les indices relevant de la santé

Les signes fortement suspects
Les plaies (contusions, brûlures, ecchymoses, hématomes, griffures, morsures, lacérations,
alopécie [11]), les fractures, les luxations (torsions, élongations, broiements des articulations), les lésions internes (viscérales [12] et thoraciques [13]) et une surdité [14] doivent toujours attirer l’attention des soignants. Elles peuvent résulter de l’agression elle-même (intromission du pénis ou d’objets dans la bouche, le vagin ou l’anus, contention forcée, lutte, chute lors de la fuite, gifles, coups de poing ou de pied, etc.) ou de violences exercées postérieurement par la
famille.
Des lésions traumatiques au niveau génital, périnéal et anal, des saignements vaginaux et
rectaux ainsi que des infections génito-urinaires ou sexuellement transmissibles témoignent
probablement d’une agression sexuelle. Les traces de strangulation, les hématomes, les
fractures et les luxations (en particulier aux bras et aux jambes aux endroits où la victime a été
maintenue) sont des indices probants de violence.
Chez la femme enceinte, une hémorragie avant l’accouchement, une rupture utérine, un
décollement rétro-placentaire ou une fausse-couche peuvent être la conséquence d’actes
violents. La demande d’avortement ainsi que les complications consécutives à une tentative
d’interruption volontaire de grossesse (hémorragie, infections) doivent également alerter le
personnel médical.
L’origine violente des symptômes est renforcée lorsque la patiente :
- refuse de révéler la cause du traumatisme physique ou de l’infection sexuellement
transmissible.
- donne des explications vagues, confuses, embrouillées et changeantes quant à
l’étiologie de ses symptômes.
- fournit des explications qui ne peuvent objectivement correspondre à la cause des
symptômes.
- prétend qu’elle s’est occasionnée accidentellement ou infligée intentionnellement
(automutilation) les lésions.
- n’a pas mentionné de lésions traumatiques durant l’entretien, celles-ci étant
découvertes inopinément lors d’un examen clinique banal ou à l’occasion d’une
plainte sans rapport avec elles. La présence de cicatrices doit également attirer
l’attention des soignants.
- consulte tardivement malgré la gravité évidente des lésions ou est hospitalisée
précipitamment. Le délai important entre le moment où les blessures ont été
infligées et la consultation est généralement justifié par la crainte de la réaction de
l’entourage, de la stigmatisation, de la honte ainsi que par la méconnaissance des
aides existantes. Certains viols ne sont ainsi découverts qu’à l’occasion de
complications de nature infectieuse, chirurgicale et hémorragique pour lesquelles
les victimes recherche de l’aide en dernière extrémité. Le retard pris pour faire
appel au médecin peut également découler d’une interdiction d’un tiers (par
exemple, le mari en cas de violence conjugale) de consulter ou de suivre une
thérapie prescrite.
Les signes non spécifiques
Souvent les signes physiques ne sont pas aussi nets, aussi graves ou aussi caractéristiques que
ceux décrits ci-dessus. La plupart d’entre eux sont en effet non spécifiques. Même lorsque l’on
procède à l’examen médical immédiatement après le viol, des dommages corporels sont
détectés dans moins de 50% des cas. Il est rare de trouver des complications physiques ou des preuves légales plus d’une semaine après l’agression. Les ecchymoses et les hématomes
disparaissent endéans les 3 semaines. Or, rappelons-nous, d’après Human Rights Watch, les
femmes consultent en moyenne 5 mois après l’agression.
Les intervenants doivent repérer les divers signes d’appel, les interpréter en fonction les uns
des autres et tenir compte de leur accumulation. Plus ils sont nombreux, plus le diagnostic de
violence sexuelle est probable et plus celle-ci est potentiellement grave et chronique.
Voici différents indices pouvant faire suspecter une agression sexuelle :
- la patiente consulte de manière répétitive pour des troubles et des plaintes
génito-urinaire : douleurs pelviennes, dysurie, infections, dyspareunie,
troubles du désir, etc.
- elle sollicite fréquemment les soignants pour des plaintes vagues ou des
troubles somatiques chroniques sans origine physique manifeste : des
céphalées, des troubles du sommeil, des douleurs chroniques (anales,
abdominales, dorsales), des difficultés respiratoires, de la fatigue, etc.
- elle consulte successivement plusieurs médecins pour la prise en charge de
traumatismes physiques ou de troubles gynécologiques.
- elle manifeste une préoccupation particulière concernant l’hygiène (elle se
lave compulsivement, elle se plaint d’un accès insuffisant à l’eau, etc.).
- elle exprime des craintes de dommage corporel.
- elle vit mal sa grossesse.
- elle attribue ses difficultés à tomber enceinte aux conséquences d’un
traumatisme ou d’une infection.
- un de ses enfants présente une malnutrition, un retard staturo-pondéral, des
signes de négligence ou de maltraitance, etc. alors que le reste de la fratrie est
en bonne santé. Un enfant est parfois gravement négligé, voire maltraité,
parce qu’il est le fruit d’un viol (même lorsque la femme et/ou le couple
et/ou la famille a/ont fait le choix de le garder).

Les indices psychosociaux

Attitude vis-à-vis des soignants
Certaines victimes manifestent de la gêne, de l’embarras et de l’inquiétude dans leur relation
avec les soignants. Leur regard est fuyant, elles sont sur le qui-vive, pleurent, esquissent un
mouvement de protection à l’approche de l’examinateur ou refusent catégoriquement d’être
touchées physiquement. Ces attitudes peuvent résulter d’une situation de violence.
Humeur et comportement
Si elles consultent peu après l’agression, les femmes peuvent être en état de choc, être
désorientées et confuses ou donner l’impression de fonctionner au ralenti (gestes rares et
lents, élocution lente, etc.).
Elles manifestent souvent des troubles anxieux et dépressifs : attaques de panique, conduites
d’évitement, tristesse, automutilations, inclination au suicide, réaction de sursaut exagérée,
troubles du sommeil (insomnie, cauchemars), perte d’appétit, trouble de la mémoire et de la
concentration, mutisme, abus de substances psychotropes (alcool, tranquillisants, somnifères,
antidépresseurs), etc.
Le discours
Les propos des patientes doivent faire l’objet d’une attention particulière. Ils peuvent recéler
des indices évocateurs d’une agression sexuelle. Par exemple :

  • Les victimes peuvent évoquer un contact sexuel d’une façon particulière.
    Les intervenants confrontés à des patientes d’une culture différente de la leur (un soignant expatrié en mission humanitaire ou une victime d’origine étrangère) doivent se renseigner sur la manière culturelle de parler des violences sexuelles. Par exemple, au Tchad, les gens utilisent la métaphore du criquet migrateur [15] ; au Congo, la position sexuelle peut notifier l’agression.
  • Elles expriment intensément des sentiments de culpabilité, de honte ou de souillure .
  • Elles tiennent parfois des propos dévalorisants ou condamnatoires vis-à-vis d’elles- mêmes ou rapportent que de tels propos sont tenus à leur égard. Ainsi, une agression sexuelle doit être suspectée lorsqu’une personne se dit/est dite maudite, possédée par le diable ou les esprits ou qu’elle se condamne/qu’on la condamne pour avoir transgressé un tabou ou la règle des ancêtres. Rares sont les pays où les populations s’expriment de façon directe à propos de la sexualité et à fortiori des violences sexuelles. Généralement, des éléments culturels empruntant aux coutumes, au religieux et au système de valeur servent de vecteur pour parler des agressions à caractère sexuel.
  • Elles formulent des idées d’expiation ou parlent des rituels conjuratoires compulsifs auxquels elles s’adonnent (par exemple, séances interminables de prière).
  • Elles se plaignent d’être l’objet de mesures spécifiques de la part de leur famille ou de leur communauté. Par exemple, dans certains pays, les femmes violées ne peuvent plus accomplir certaines tâches traditionnelles, par exemple préparer le repas, parce qu’elles sont considérées comme souillées.
  • Elles laissent entendre qu’elles s’isolent (repli sur soi, retrait émotionnel, intellectuel, affectif ou social).
  • Elles envisagent de déménager, de partir loin, de tout quitter sans avoir formé de projets pour leur futur.

Savoir questionner au sujet des violences sexuelles

Pour créer un climat de confiance, les soignants doivent interroger la patiente à partir du motif
de consultation ou des symptômes qui font suspecter la situation de violence. Il n’est pas
dans les attributions de tous les intervenants de rechercher le pourquoi des violences, au
demeurant inacceptables, mais tous doivent en revanche garantir à la victime une écoute
attentive et dépourvue de jugement.
Dans les contextes où les viols sont fréquents, les soignants peuvent, dans le cadre de
l’anamnèse, demander aux personnes qui consultent si elles ont subi des violences sexuelles :
- «  Du fait que la violence sexuelle est un phénomène très répandu, j’interroge maintenant toutes les
femmes que je vois. Avez-vous, vous aussi, subi ce genre de violence ?
 »
- « Les femmes qui présentent une blessure comme la vôtre me disent souvent qu’elles ont été
frappées. Cela vous est-il arrivé à vous aussi ?
 »
- «  Ce que je constate me fait penser que quelqu’un s’est mal conduit avec vous, que quelqu’un vous
a fait souffrir
 ».
Des questions moins directes peuvent également permettre aux victimes d’aborder le viol
qu’elles ont subi, par exemple :
- « Connaissez-vous votre partenaire ? »
Dans le cas de réfugiés ou de déplacés, les circonstances de la fuite, de l’exode et/ou des
conditions de vie dans le camp peuvent donner des indications sur le risque qu’ont pu courir
les personnes d’être victimes de violence sexuelle. Les intervenants doivent se renseigner sur
ces circonstances afin de repérer les situations où des viols ont pu être ou peuvent être
commis.
Bibliographie et notes
Bibliographie de l’article Déceler les violences sexuelles faites aux femmes

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Notes de l’article Déceler les violences sexuelles faites aux femmes

[1Nous avons circonscrit cet article à l’aide médicale. Cependant, la prise en charge des victimes de violences sexuelles ne se limite pas au seul secteur médical. En effet, idéalement, elle inclut les services policiers, juridiques et psychosociaux.
[2International Rescue Committee, “Understanding and Responding to War Related Sexual
Violence”.
[3Cité par M. Osorio in « Sexual and gender based violence”, workshop 2005, MSF.
[4Soulignons cependant que ce délai peut être considérablement diminué lorsqu’il existe des
centres spécialisés dans la prise en charge des victimes et que ceux-ci sont clairement identifiés
par la population. C’est également le cas dans les pays où l’opprobre social frappe moins
durement les victimes.
[5« Etude sur les violences faites aux femmes au Rwanda », AVEGA « Agahozo », décembre 1999
[6Cité par M. Osorio in « Sexual and gender based violence” workshop 2005, MSF.
[7Centre de référence pour les violences sexuelles mis sur pied par Médecins Sans Frontières-
Belgique à Bujumbura.
[8Données recueillies lors des missions humanitaires de l’auteur.
[9Principalement la gonorrhée, le chlamydiae et la syphilis.
[10Dans certains pays, le kit PEP (Post-Exposure Prohylaxis, chimioprophylaxie pour le HIV
composé d’anti-rétroviraux) est disponible
[11Par arrachement brutal des cheveux
[12Le plus souvent intra-abdominales (lésions du foie, de la rate, du mésentère, du rein ou du
rectum), elles peuvent évoluer à bas bruit et se révéler brutalement au bout de plusieurs jours par
un état de choc ou une symptomatologie abdominale aiguë.
[13Les hémothorax et les pneumothorax sont en général consécutifs à des fractures des côtes.
[14Provoquée par une gifle ou des coups sur l’oreille.
[151 Le criquet migrateur fait des dégâts puis s’en va. Exemple rapporté par Françoise Duroch.
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