EMDR en haiti

Mis à jour le 2 mars 2023

Article de Huguette Hérard – Le Nouvelliste

Haïti : Le célèbre psychothérapeute David Servan-Schreiber décédé : Ses traces en Haïti

David Servan-Schreiber (21 avril 1961‐24 juillet 2011)
Les premiers professionnels haïtiens formés à la thérapie EMDR, mars 2011
 
Stimulations oculaires bilatérales entre collègues
C’est en juillet 2011, à l’âge de 50 ans, que David Servan-Schreiber décédait. En plus de ses proches et amis, ceux qui regrettent le plus le départ de ce célèbre neuropsychiatre français sont justement ceux qui connaissent son apport, et non des moindres, à la santé mentale. Il fut celui qui a montré du doigt les limites de la médecine traditionnelle en y introduisant des facteurs qui ne sont pas généralement pris en compte dans les traitements classiques : par exemple la capacité de l’être humain à s’auto-guérir. Dans son ouvrage bestseller « Guérir », on retrouve ses propositions originales, dont celle de faire appel aux mécanismes d’auto-guérison du cerveau, pour combattre le stress, l’anxiété et la dépression sans devoir recourir aux médicaments ni à la psychanalyse. 

La même idée est poursuivie dans son autre bestseller « Anticancer ». Ayant été lui-même atteint de cancer à l’âge de 31 ans, il était encore mieux placé que quiconque pour fournir des informations pour la prévention et le traitement de cette maladie : alimentation saine, pratique quotidienne d’exercice, méditation etc. Selon lui, il y a moyen d’agir dans quatre domaines principaux pour renforcer son potentiel de santé : se prémunir contre les déséquilibres de l’environnement; ajuster notre alimentation; mieux réagir au stress dans notre vie; établir une relation différente à notre corps. Toutes choses que la médecine classique n’apprend pas, comme celle, toute simple, de faire appel à nos défenses naturelles contre les maladies en général, et le cancer en particulier. Quand il a constaté la rechute du cancer il y a un an, DSS a commencé à écrire son troisième et dernier livre (« Nous pouvons dire au revoir plusieurs fois »), publié deux mois avant sa mort, dans lequel il évoque, en une centaine de pages émouvantes, son long combat contre le cancer.

On retiendra aussi de lui ses réflexions utiles sur l’importance, pour l’être humain, de donner un « sens » à sa vie. Que ce soit par la corporalité, qui suppose un autre lien avec son corps, par le sport, la méditation par exemple. Par l’intimité où il est question d’amour, pas seulement l’amour avec un grand A mais toutes les autres sortes de sentiments d’amour (filiaux, amicaux etc) dont l’être ne peut se passer. Par l’engagement au sein de sa communauté, car selon DSS, c’est par des actions qui nous rendent utiles et appréciés par les autres que nous avons le sentiment d’exister. Et enfin par la spiritualité, celle qui nous nourrit et nous donne le sentiment de se sentir reliés à une dimension qui existe au-delà du corps, des êtres et de la société même.

Sa trace en Haiti – la thérapie EMDR

Sa trace, peu connue, est pourtant « repérable » en Haïti à travers son apport pédagogique à l’EMDR, l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, à laquelle il s’était aussi consacré après avoir écouté un séminaire de la fondatrice de cette méthode, Francine Shapiro. DSS a introduit cette approche thérapeutique dans le traitement de la santé mentale en France en mettant sur pied l’Institut Français de l’EMDR à Paris qui forme les professionnels français en EMDR. Il a également mis son manuel de formation et d’application à la disposition des professionnels de la santé mentale en Haïti dans le cadre d’un projet humanitaire de formation. On compte déjà une vingtaine de psychologues haïtiens qui ont été formés, sur 2 ans, à la thérapie EMDR par l’experte allemande en psycho traumatologie et formatrice accréditée EMDR-Europe, Elfrun Magloire, l’épouse du professeur docteur Lionel Magloire, natif des Gonaïves. Un classique que ce manuel de formation de Servan-Schreiber. L’entraînement se poursuit avec l’Haitienne, Dr. Myrtho Marra Chilosi de Pétionville, médecin gastro-entérologue, psychothérapeute, thérapeute EMDR accréditée, en passe de devenir, dans quelques années, superviseuse et formatrice EMDR.

En gros, la thèse de la psycho traumatologie révèle que lorsqu’un évènement traumatique bouleverse notre vie (la mort d’un proche, un viol, un accident), celui-ci ouvre une plaie dans notre cerveau émotionnel. Sous l’emprise du stress, le malade connaît un dysfonctionnement de la pensée et des émotions, provoquant à terme l’ESPT (1), l’angoisse, la dépression, la maladie panique, les addictions (tabac, alcool), les maladies de dissociation, les troubles de la personnalité, pour ne citer que les affections les plus courantes. Le cerveau émotionnel, toujours en alerte, domine, empêchant ainsi au cerveau rationnel de faire des expériences correctives. C’est là qu’intervient la méthode EMDR qui permet un apaisement de l’émotion stocké dans le cerveau, condition nécessaire pour une élaboration cognitive adaptive de l’évènement traumatique. Cette thérapie part de la réalité que notre cerveau a une capacité innée à « digérer » des évènements difficiles tout comme la peau a la capacité à se refermer après une blessure. Cette approche rencontre bien les thèses développées dans les travaux de Servan-Schreiber.

Stimuler le cerveau

Sur le plan pratique, pour parvenir à l’apaisement, le thérapeute EMDR fait faire au patient des stimulations bilatérales du cerveau. Après certaines instructions et préparations nécessaires, il demande au patient de suivre les mouvements de ses doigts qui se font de gauche à droite et à un rythme régulier, et de penser en même temps à des éléments du souvenir traumatique ou du deuil non résolu. Il existe aussi d’autres formes de stimulations, auditives ou tactiles (tapotements sur les mains), qui sont parfois utilisées à la place de la stimulation visuelle. En activant ainsi le cerveau avec les doigts, les émotions du trauma vont alors connaître un apaisement progressif. Tout se passe comme si la raison envoyait des ordres adaptifs au centre émotionnel. L’adrénaline, l’hormone du stress, se dilue avec l’EMDR. L’état émotionnel se modifie rapidement au rythme des changements d’associations cognitives qui remplacent les visions négatives antérieures. C’est à dire que le cerveau ainsi stimulé va transformer des souvenirs hautement chargés émotionnellement, et les croyances négatives sur soi qui leur sont associées, en des affects neutres et en des convictions positives. Une compréhension nouvelle de l’événement se met en place et le patient exprime désormais de nouvelles convictions adaptives au sujet de son traumatisme. Cette phase de stimulation bilatérale s’accompagne généralement d’une réponse physiologique : baisse de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque par exemple, habituellement diagnostiquées en pareil cas.

C’est toute la théorie sur l’auto-guérison de Servan-Schreiber qu’on retrouve confirmée ici. Comme cette approche thérapeutique est aussi « adaptée à l’individu », la personne est appelée à évoluer elle-même vers la guérison. C’est son cerveau qui va être incité à résoudre son vécu traumatisant, selon sa propre façon de penser. Le thérapeute n’intervient pas directement, il se contente d’accompagner le patient, de l’encourager dans le travail adaptif du cerveau sans chercher à lui donner des conseils spécifiques.

Compte-tenu des nombreux avantages de l’EMDR, Servan-Schreiber avait, de son vivant, prédit que cette méthode occupera une place centrale dans le champ émergeant de la médecine intégrative. « La recherche dans les dix prochaines années devrait se centrer sur les mécanismes d’action de l’EMDR et sur son application à d’autres affections que l’ESPT », avait-il estimé il y a quelques années. Un prophète donc car c’est chose faite entre-temps : cette méthode dépasse le champ du traumatisme et s’applique désormais aussi bien dans le traitement de la dépression, de l’anxiété, des addictions que dans celui de la névrose compulsive et obsessionnelle, des douleurs chroniques, la somatisation et le deuil. Une grande perte sans aucun doute que cette disparition mais heureusement que ses enseignements sur l’auto-guérison, la biologie du cancer et la diffusion sur à l’échelle francophone de l’EMDR resteront, eux, immortels.

Huguette Hérard

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Lien vers l’article : http://www.lenouvelliste.com/articleforprint.php?PubID=1&ArticleID=99588

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