Rêver pour mieux apprendre

Mis à jour le 14 octobre 2022

David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Septembre 2001

La piste défile sous ses yeux. Catherine jette son corps à droite, à gauche, pour garder le contact avec le sol dans les virages qui se suivent à un rythme infernal. La caméra qui filme son visage enregistre l’intensité de ses émotions : appréhension, peur, soulagement, stress, etc. Mais Catherine n’est pas en danger. Nous sommes dans le laboratoire d’études des rêves du professeur Stickgold, à Harvard, et la jeune femme revit, dans son sommeil, les moments forts de sa journée, lorsqu’elle a dû apprendre à contrôler un simulateur de ski alpin.

Cette expérience a jeté une lumière nouvelle sur un principe déterminant du contenu des rêves qui intriguait déjà Freud. Le psychanalyste avait observé que les rêves font souvent référence à des «résidus» de ce que nous avons vécu dans la journée, mais insistait surtout sur leur rôle en tant qu’expression des désirs cachés, transformés dans leur présentation par les mécanismes de l’inconscient. En contrôlant la nature de l’expérience des sujets pendant la journée, puis en étudiant leur sommeil et leurs rêves dans les conditions idéales du laboratoire, Stickgold est allé plus loin.

D’après ses observations, on retrouve dans l’activité mentale des premières minutes d’endormissement puis des rêves, les situations qui nous ont obligés à sortir de nos habitudes, à adopter des comportements nouveaux, à trouver des réponses différentes. Et ce, surtout s’il nous a fallu réagir vite et avec précision, aussi bien avec le corps qu’avec la tête (“Science”, Octobre 2000). Stickgold a également observé que, si l’on empêche des étudiants de dormir pendant les vingt-quatre heures qui suivent l’apprentissage d’une nouvelle tâche, leur performance s’en trouve altérée, même s’ils dorment à loisir les nuits suivantes. Il semble donc que ce mécanisme d’apprentissage inconscient doit faire son ouvrage sur du matériel encore «chaud» (“Nature Neuroscience”, décembre 2000).

L’activité nocturne du cerveau permettrait donc d’intégrer au réseau de connaissances existantes ce que nous venons d’apprendre, tissage délicat qui doit impérativement préserver les souvenirs et les compétences déjà acquises. Il s’établit un va-et-vient entre les zones du cerveau où sont représentées les expériences nouvelles – qui se «déchargent» au cours du sommeil profond précédant les rêves – et celles où se trouvent les faits anciens – qui doivent, au cours des rêves, se désorganiser pour «charger» les nouvelles connaissances.

D’après Stickgold, cette désorganisation aurait comme fonction de faciliter la créativité, en juxtaposant temporairement – pendant le rêve – des situations et des réponses qui n’ont normalement pas de connexion entre elles. Comme si le cerveau en profitait pour tester des possibilités lorsqu’il a été confronté à une impasse. Le rêve comme manifestation du délicat mécanisme neurologique qui assure notre survie en intégrant le nouveau à l’ancien… Cela faisait longtemps que l’on cherchait une explication aussi élégante. Et Freud, qui tâtonnait dans cette direction il y a cent ans, aurait sûrement apprécié.

 septembre 2001

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