Traumatismes psychiques en périnatalité et EMDR

Traumatismes psychiques en périnatalité et EMDR

Mis à jour le 10 octobre 2022

Article Traumatismes psychiques en périnatalité et EMDR, de Eric Binet, publié dans Réalités en gynécologie-obstétrique, en mars-avril 2012.

Résumé : Les états de stress post-traumatique suite aux fausses couches tardives posent la question de l’approche psychothérapique des traumatismes psychiques en périnatalité. Les psychothérapies EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) dans ce domaine d’application restent encore largement méconnues des médecins ou des soignants. Or l’efficacité de l’EMDR a été scientifiquement approuvée, la plupart des études recommandent son utilisation pour le traitement du stress post-traumatique. La description de la prise en charge d’une patiente permet d’en illustrer les fondements théoriques, cliniques et méthodologiques.

Les cas de fausses couches tardives ou de morts in utero sont malheureusement la cause de fréquents traumatismes maternels. Ces moments tragiques dans la vie de ces femmes interviennent parfois au sein de l’hôpital, les équipes de maternité sont alors confrontées à l’effroi ou à l’effondrement des patientes. Or le deuil à ce moment-là ne peut se résumer à “passer à autre chose” et son accompagnement à de la simple empathie. Les dernières études publiées [1,2] montrent que les mères en gardent des séquelles psychologiques (dépression, anxiété) et ce 6 à 14 mois après pour 25% d’entre elles. Des crises conjugales peuvent aussi en être la conséquence [3], le couple vivant aussi un choc émotionnel qu’il n’est pas prêt à affronter.

Au-delà d’une écoute attentionnée, d’une prise en compte des ressentis émotionnels, physiques de ces femmes, les séquelles peuvent aller jusqu’à un état de stress post-traumatique (ESPT) de formes variées. Dans un cas, la personne n’arrive pas à se défaire du souvenir : elle est comme forcée de revivre l’événement au travers de symptômes intrusifs comme des cauchemars, des crises d’angoisse, des flash-backs ou des idées obsédantes. Dans l’autre cas, elle ne peut vivre avec ce souvenir et va développer toute une série de comportements pour éloigner le souvenir : elle s’isole socialement, s’anesthésie émotionnellement, abuse de médicaments. C’est alors qu’on parlera le plus souvent de dissociation. Malheureusement, ce mécanisme de survie psychique ne protège pas la personne contre les symptômes qui accompagnent le traumatisme [4].

Le but du traitement EMDR est précisément d’être utilisé dans les cas où un traumatisme a un effet durable. La pratique de l’EMDR étant fondée sur le modèle du traitement adaptatif de l’information, elle paraît avoir une action biologique sur le système nerveux. En ce sens, on constate que les effets des traumatismes sont réversibles, le cas d’une patiente ayant eu une fausse couche tardive va nous servir d’exemple.

Principes théoriques et méthodologiques de l’EMDR

L’efficacité thérapeutique de l’EMDR n’est plus à prouver, cette psychothérapie bénéficiant d’un très grand nombre de publications scientifiques au plan international. Depuis 1989 [5], de nombreuses études, des dizaines d’essais cliniques randomisés [6,7] ou des méta-analyses [8, 9] ont mis en évidence ses résultats, notamment dans le traitement des traumatismes psychiques. Pour les plus récentes, des recommandations internationales officielles préconisent l’utilisation de l’EMDR : en 2004 l’Inserm [10] ou l’ American Psychiatric Association [11], en 2005 le National Institut for Clinical Excellence au Royaume-Uni [12], et enfin l’HAS en 2007 [13].

Même si l’approche EMDR porte spécifiquement sur le passé traumatique d’une personne, tous les autres aspects tant individuels, familiaux que sociaux sont aussi pris en compte. Cette connaissance de l’histoire du patient est particulièrement précieuse pour trouver des ressources, propres à chaque personne, aidant et facilitant la thérapie. Dans le cas de la patiente qui va suivre, le fait qu’elle soit très croyante a été un élément à prendre en compte pour l’aider à mieux considérer l’épreuve à laquelle elle a dû faire face.

Sans détailler les huit phases du traitement des psychotraumatismes, il convient de comprendre un suivi en EMDR comme un processus de guérison neurophysiologique à l’instar de ceux qui permettent de cicatriser une plaie. La plaie est cette fois considérée comme une information dysfonctionnelle qui fait souffrir aussi bien émotionnellement (peur, colère…), physiquement, que sur un plan cognitif (incompréhension, culpabilité…). L’effet thérapeutique constaté (fig. 1, [14]) demeure encore bien mystérieux quant aux mécanismes cérébraux qu’il implique. Les dernières recherches [15, 16] penchent pour un mécanisme de retraitement de l’information assez proche de celui que l’on peut observer pendant la phase de sommeil paradoxal appelée REM (Rapid Eye Movement). Mais, en EMDR, les patients ne dorment pas et ne sont pas en état hypnotique…

La spécificité de l’EMDR est de débloquer cette situation par des stimulations sensorielles alternées bilatérales (visuelles, auditives, tactiles). Si les stimulations bilatérales alternées (SBA) les plus connues sont visuelles, un thérapeute peut en utiliser d’autres, voire les trois en même temps. Mais ces stimulations ne se font pas au hasard, elles interviennent à un moment précis d’un protocole (de huit étapes principales) et ce de façon très ciblée. Réduire l’EMDR à des SBA, c’est donc méconnaître une approche complexe qui porte aussi bien sur le passé traumatique d’une personne que sur le présent (d’éventuels déclencheurs) et le futur. Car le patient n’est pas réduit à son passé, sa guérison passe aussi par un travail de reconnaissance dans le présent et le futur de ce qui pourrait à nouveau le confronter à pareille situation.

Présentation d’un cas de fausse couche

Adressée par la psychologue de la maternité où elle a été suivie, Mme S exprime d’emblée lutter perpétuellement contre une dépression. Ce sentiment est apparu progressivement depuis une dizaine de mois, après une fausse couche tardive 24 heures après une visite du sixième mois Les semaines suivantes, elle a ressenti des crises d’angoisse qui ont cessé depuis. Aucun traitement antidépresseur ne lui a été prescrit. Paradoxalement, Mme S se présente sans aucune expression de tristesse ou d’anxiété apparente pendant le premier entretien. Elle dit, par exemple, ne pas craindre d’être à nouveau enceinte. Elle décrit son mari, absent lors des différents rendez-vous, comme très distant par rapport à cette première grossesse. Il s’est tenu éloigné de tous les préparatifs concernant l’enterrement du bébé. Ni l’un ni l’autre n’ont souhaité le voir (ou sa photo) après la naissance. Dans l’ensemble des propos de Mme S, les souvenirs restent lointains, il lui revient peu de détails.

Cette fausse couche tardive a été suivie, dix mois plus tard, par une fausse couche spontanée. Cette fois, Mme S se souvient avoir ressenti une plus grande souffrance, un désarroi plus important. Pour étonnant que cela apparaisse, elle affirme avoir vécu cette deuxième fausse couche plus douloureusement que la première. Pourtant, son récit est tout aussi rapide, comme si elle survolait de loin cet événement du passé.

La passation de l’échelle PCLS (évaluation des états de stress post-traumatique) confirme que la fausse couche tardive a eu un impact traumatique avec un score à 45 (seuil à 44). Cet auto-questionnaire permet aux patients de dire à quelle fréquence des problèmes ou symptômes ont été perturbants le mois précédent (1=pas du tout, jusqu’à 5 = très souvent). Pour Mme S, ce score est vraisemblablement minimisé par des symptômes dissociatifs, tous les items en lien directement avec le souvenir étant rarement considérés comme perturbants. Cette forme d’indifférence sera très prégnante dans ses propos et son comportement jusqu’à la phase 4 de désensibilisation avec les SBA. Mais, en dehors de l’événement, la patiente obtient des scores élevés en termes de perturbation : se sentir distante ou coupée des autres personnes (5/5), perte d’intérêt dans des activités qui habituellement vous faisaient plaisir (4/5), difficultés d’endormissement (4/5), irritabilité ou bouffées de colères (4/5).

L’hypothèse diagnostique d’un trouble dissociatif sera vérifiée par la suite quand la patiente passera d’une perception de la fausse couche dissociée d’elle-même (comme si cela était arrivé à quelqu’un d’autre : “comme si je regardais ça de l’extérieur”) à une autre perception d’elle-même au cours de la première séance d’EMDR. Elle aura le sentiment de revivre l’expulsion du fœtus avec de fortes abréactions associées à des sensations physiques, réintégrant ainsi l’expérience traumatique.

Avant d’arriver à cette étape de “désensibilisation”, un travail préalable lui a permis de s’y préparer. Suite aux entretiens préalables, une séance a été nécessaire pour la familiariser aux SBA en travaillant sur un souvenir agréable et rassurant. Cette étape est primordiale et nécessite parfois d’être rallongée quand des patients sont émotionnellement en risque de décompensation si l’on aborde trop rapidement et trop directement des souvenirs traumatiques. Dans son cas, on a pu se rendre compte qu’elle disposait de ressources et d’un équilibre émotionnel suffisant pour aborder assez rapidement le souvenir de la maternité.

Sans entrer dans le détail des deux séances d’EMDR qui ont suivi, l’étape suivante a été de repérer l’aspect le plus douloureux que revêtait pour elle ce souvenir au moment où elle était en séance. La suite a consisté à trouver la cognition négative associée à cette image. Les mots “Je suis seule et abandonnée” résonnaient fortement. Une peur était présente en elle au moment d’y repenser et elle ressentait une sensation gênante dans l’œsophage. Cependant, son niveau de perturbation était assez bas (5 sur une échelle de 10, où 10 représente le niveau de perturbation maximal). Mais cela n’avait rien de surprenant, ce niveau moyen indiquait que les informations en lien avec la fausse couche étaient stockées de façon inappropriée dans un réseau de mémoire bloqué.

Le début du travail de désensibilisation avec les SBA l’amena à retrouver quasi immédiatement les lieux et les personnes présentes au moment de son arrivée en salle d’attente aux urgences. Très vite, la suite du scénario redevint accessible. Toute la complexité de la situation lui revint, jusqu’à une abréaction très forte lorsqu’elle se revit expulser son bébé en salle de naissance. Ce moment de reviviscence marqua l’apogée de l’état de perturbation dans lequel elle était. La fin de la séance et la suivante l’amenèrent à trouver une plus grande sérénité et un niveau de perturbation égal à zéro. Cela signifiait qu’elle ne ressentait plus les mots “je suis seule et abandonnée” comme vrais en repensant à l’événement. Les mots “je suis entourée de personnes qui m’aiment” lui semblaient plus justes, de même elle ne ressentait ni peur ni sensation physique gênante à l’évocation du souvenir.

Une fois libérée de cette détresse jusque- là indicible, elle arriva ensuite à parler de la mort de son enfant en l’associant à ses croyances religieuses. Ses propos ne reflétaient plus de perturbation émotionnelle, la confiance en une future grossesse se renforça progressivement. Cela a été l’occasion de prolonger cette première étape du travail en l’amenant à se projeter dans une situation future où elle serait amenée à retourner à la maternité. Les aspects perturbants qui ont alors pu ressortir ont été l’occasion de terminer le travail thérapeutique.

Commentaires

Les expériences traumatiques aboutissant à un état de stress post-traumatique (ESPT) impliquent le plus souvent une expérience vécue au-delà des événements normaux de la vie courante. Une fausse couche tardive implique une réaction de l’entourage souvent retrouvée dans les cas d’ESPT [17] : il existe d’abord une phase d’urgence au cours de laquelle la personne trouve de la sympathie et de la compréhension. Puis, si ses symptômes persistent, trois à six semaines après, on tentera de la calmer, de dédramatiser. Six à huit semaines après l’incident, de l’impatience et de l’irritation pointeront dans l’entourage.

Dans le cas présenté ci-dessus, le vécu de détresse et d’impuissance au moment de l’expulsion du fœtus a été le noyau central du souvenir traumatique. Il n’y avait pas de possibilité de lutter ou de fuir, seules la peur et la douleur ont dominé.

Rendre le contrôle à la personne dans ce genre de situation revient d’abord à l’amener à considérer ses réactions comme normales face à une situation qui était anormale. Cette phase de stabilisation au début du travail thérapeutique nécessite parfois de la psychopédagogie, dans le sens où des explications sur le fonctionnement cérébral peuvent aider une personne à comprendre l’impuissance, la paralysie dans laquelle elle a pu se trouver à un moment donné. Le travail thérapeutique sur un trauma nécessite donc plusieurs étapes avant le travail sur les événements traumatiques. Contrairement à une idée préconçue, la partie du travail en EMDR sur ces événements implique un temps préalable pour renforcer la relation patient-thérapeute ainsi qu’une stabilisation émotionnelle [18].

Conformément aux résultats décrits dans plusieurs études contrôlées [19, 20], on a constaté, dans ce cas, une rémission d’ESPT en trois séances (77 à 100 % après 3 à 6 séances). Il est utile alors d’insister sur le fait que ces résultats obtenus nécessitent des procédures et protocoles standardisés [21] permettant de traiter les informations sensorielles (images, sons, odeurs…), cognitives (pensées au moment de l’événement), émotionnelles à la base du souvenir traumatique. Une fois repérées et prises dans le processus des stimulations bilatérales alternées, ces informations peuvent se déplacer en créant des changements aussi bien physiques qu’émotionnels ou cognitifs. Enfin, les troubles dissociatifs de cette patiente avec un détachement (indifférence) notoire auraient pu conduire à un temps plus important de stabilisation. Mais l’environnement social et familial était suffisamment soutenant et elle était capable d’appeler à l’aide en cas de besoin. Enfin, l’évaluation du potentiel de dissociation réalisé en début de consultation n’avait pas permis de révéler des troubles trop complexes comme un trouble dissociatif de l’identité.

Conclusion

Si une fausse couche tardive est un drame dans la vie d’une femme, elle l’est très différemment d’une femme à l’autre. Pour certaines, ce sera la perte d’une grossesse, pour d’autres la perte d’un enfant. Diminuer la douleur de ce deuil nécessite parfois plus qu’une reconnaissance de la souffrance par l’entourage. Si la médecine sait très bien trouver des explications ou des remèdes, il est important de ne pas négliger les séquelles psychologiques. L’accompagnement psychologique s’avère souvent nécessaire et l’EMDR est actuellement une approche psychothérapique qui combine avec efficacité et succès le physiologique et le psychologique.

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