interview d'Hélène Dellucci sur les traumas transgénérationnels

interview d’Hélène Dellucci sur les traumas transgénérationnels

Mis à jour le 5 octobre 2022

Une interview d’Hélène Dellucci sur les traumas transgénérationnels.

Qu’est ce qu’un trauma transgénérationnel ?

On parle de traumatisme transgénérationnel lorsqu’on retrouve, chez une personne, des séquelles post-traumatiques décelables dans le corps, d’événements que la personne elle-même n’a pas vécus.

Quelle est la différence entre un trauma transgénérationnel et un traumatisme familial ?

Prenons un exemple : une personne a eu un accident.  Les autres membres de sa famille, qui n’ont pas vécu cet événement directement, ont des séquelles post-traumatiques. Dans ce cas, on ne parle pas de traumatisme transgénérationnel, mais de traumatisme familial. Pour un même événement, plusieurs membres de la même famille sont touchés.

Ce qui fait la différence entre un traumatisme familial et un traumatique transgénérationnel, c’est qu’en général les traumatismes transgénérationnels concernent des événements qui se sont produits avant la naissance de la personne qui porte les séquelles. On trouve ainsi très souvent des petits-enfants qui portent des séquelles de choses qui sont arrivées aux grands-parents, parfois même avant la naissance de leurs propres parents.

Il peut s’agir, par exemple, d’événements historiquement datés – survenus pendant la première ou la seconde guerre mondiale -, que les patients, nés après les deux guerres, n’ont pas pu vivre, mais qui apparaissent quand on travaille avec ces personnes en psychotraumatologie : ils portent le récit de manière complétement intacte, même s’ils restent à un niveau implicite tant que la personne n’a pas touché ce réseau. Ce sont des traumatismes, qui, une fois qu’on a trouvé la bonne adresse, se libèrent facilement, notamment avec l’EMDR qui est extrêmement efficace dans ce cas là.

Quelles sont les causes des traumas transgénérationnels ?

Je pense que lorsqu’un événement traumatique se produit, les traumatismes familiaux (des événements traumatiques majeurs qui ont touchés plus d’un membre de la famille) qui ne sont pas digérés peuvent laisser des traces sur les générations à venir.

Est-ce-qu’un traumatisme majeure dans une famille peut aussi ne pas laisser de trace ?

Nous n’avons pas, à ce jour, de recherche qui mette en évidence le fait que des traumatismes familiaux non digérés n’ont pas laissés de séquelles. Mais, toutes les recherches sur la résilience me poussent à dire oui.

Évidemment, je retrouve dans mon cabinet des personnes qui portent des séquelles. Lorsque nous allons pister le contenu de leurs réseaux traumatiques et que nous pouvons travailler sur ces réseaux, émerge un contenu qui les surprend, qui me surprend, notamment par la charge émotionnelle qu’il porte alors que les patients reconnaissent ne pas avoir vécu ces événements.

Comment les traumas transgénérationnels sont-ils transmis d’une génération à l’autre ?

On peut évoquer différents mécanismes. Les recherches très récentes sur la dimension épigénétique pourraient laisser croire que la transmission de fait par des réactions de stress qui touchent l’axe hypo-thalamo-hypophyso-surrénalien. Si je traduis ça en des termes compréhensibles, je pense que cela se transmet par des défauts d’attachement.

Une autre piste possible serait une transmission par les neurones miroirs. Les neurones miroirs transmettent notamment les états du corps (par exemple l’état de panique dans lequel le corps se trouve). Les petits enfants sont dans une grande empathie à l’égard de leurs parents et de leurs grands-parents. Quand ces derniers ont été traumatisés, et qu’ils ont des réminiscences traumatiques, on peut imaginer que les petits, qui cherchent à rester en lien, peuvent, par cette voie physiologique, être contaminés par des restes corporels, des restes physiologiques, qu’eux même n’ont pas vécus. On a ainsi une contamination sensorielle et émotionnelle pour des événements qui se sont produits plusieurs années auparavant.

On pense également que les traumas transgénérationnels se transmettent mieux quand il existe des secrets de famille.

Il existe aussi une transmission par les violences domestiques. Ces violences déclenchent les parents, qui ont alors des défauts de contenance, réagissent de manière inappropriée, tant en terme d’attachement, qu’en terme de capacité à répondre adéquatement aux questions des enfants sur ce qui arrive. Par ce biais, les parents transmettent des idées erronées, comme : les allemands ne sont pas des gens fréquentables, les puits sont des endroits dangereux…  L’enfant apprend en décodant le langage non verbal des parents. Les parents lui transmettent l’idée d’un danger sans qu’il y ait nécessairement de parole. Ce sont souvent ensuite des adultes qui ont des phobies diverses qu’ils  ne comprennent pas, ou qui ont des réactions physiologiques – je pense à une dame qui devient hypocondriaque quand son mari à une analyse sanguine alors qu’elle sait pertinemment qu’il n’y a pas de danger.

Comment savoir si j’ai un trauma transgénérationnel ? Quels sont les signes qui peuvent alerter ?

Il existe une liste de symptômes.

Michael Hase & co expliquent que les suicides et les meurtres dans une famille sont un indicateur de souffrances transgénérationnelles. En ce qui concerne les tentatives de meurtres, les tentatives de suicides, les violences domestiques, on constate souvent qu’ils existent des précédents dans les générations passées.

Les psycho généalogistes attirent notre attention sur le fait que l’inceste est également quelque chose qui, très souvent, a existé dans les générations précédentes. En cas d’inceste, traiter l’agression sexuelle ne suffit pas, il est important de poursuivre le travail jusqu’à une prévention efficace, c’est-à-dire jusqu’à pouvoir en parler en terme de : comment allons-nous faire en sorte que cela n’arrive jamais plus dans notre famille ?

Quand il y a des secrets de familles, je suspecte également des trauma transgénérationnels.

Quand les personnes ont des symptômes sur lesquels ils n’arrivent pas à mettre un sens. Par exemple, j’ai peur de rouler en voiture. Si j’ai eu un accident de voiture il y a 5 ans, mon symptôme a un sens : j’ai peur de rouler en voiture parce que j’ai eu un accident. Si, au contraire, j’ai peur des couteaux mais je n’ai pas de souvenir qu’il s’est passé quoique ce soit avec un couteau, j’ai une attirance particulière pour les cimetières, mais je ne peux pas dire pourquoi. On peut aller chercher dans les générations précédentes un sens à ces symptômes.

Il existe bien sûr d’autres symptômes.

Quelles sont les possibilités de prises en charge des traumas transgénérationnels ?

Ma réponse va être un peu biaisée car je suis thérapeute familiale, psychotraumatologue et thérapeute EMDR, donc je vais répondre à partir de la perspective que je connais.

On peut travailler avec le génogramme familial, que l’on apprend en thérapie systémique, c’est à dire faire un arbre généalogique simplifié et déceler les relations non contenantes, celles qui  permettent de ne ressentir aucune émotion, avec des défauts d’empathie là où il devrait y avoir une relation de soutien. Ce sont des points froids. On trouve également des relations où l’émotion, chaque fois qu’elle est touchée, déborde. Ce sont des relations perturbées.

On va regarder de plus après ces relations perturbées, après avoir effectué un travail sur les ressources dont la personne dispose, parce qu’il n’y a pas que les traumatismes qui se transmettent : les ressources se transmettent elles aussi.

On peut ensuite travailler en EMDR : cibler directement ces lieux de souffrance et permettre aux personnes de se débarrasser de ce traumatisme comme de n’importe quel autre traumatisme.

Est-ce-qu’on travaille uniquement avec le patient ou avec l’ensemble de la famille ?

La plupart du temps, dans ma consultation, j’ai des patients qui se posent des questions.

Il  m’arrive de recevoir en thérapie des parents qui ont eu une histoire difficile et craignent de la transmettre à leurs enfants. Dans ce cas, je travaille avec les parents.

Mais la plupart du temps, ce sont des personnes en souffrance individuelle, qui viennent travailler en thérapie et ne souhaitent pas travailler en famille, soit parce que les liens sont coupés, soit parce qu’ils se sentent insécures d’évoquer leurs symptômes, dont ils ont honte, qui n’ont pas de sens pour eux.

Dans les histoire d’inceste et de transmission transgénérationnelle, la thérapie se termine la plupart du temps par des entretiens familiaux où la personne qui a travaillé sur elle met au courant ses enfants, ses frères et sœurs de ce qui s’est passé, pour dire qu’il y a eu des choses, que maintenant elle n’en souffre plus et pour poser la question de la prévention : comment peut on faire pour que cela ne se reproduise jamais plus dans notre famille ?


portrait professionnel studio falour photographe paris essentiaHélène Dellucci est psychologue, thérapeute familiale, et facilitateur et superviseur EMDR Europe. Elle est chargée de cours à la faculté de psychologie de l’Université Lorraine. Elle exerce en cabinet privé. Elle enseigne la Psychotraumatologie Centrée Compétences dans différents pays d’Europe. Elle est actuellement membre de la Commission Enfants et Adolescents et de la Commission d’Admission et de Certification de l’Association EMDR France. Et est auteur et co-auteur de plusieurs articles en psychotraumatologie. (en savoir plus sur Hélène Dellucci)


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