Une approche intégrative des dimensions diachronique et synchronique en psychothérapie

Mis à jour le 26 décembre 2016

Michel Silvestre a soutenu sa thèse Une approche intégrative des dimensions diachronique et synchronique en psychothérapie du trauma au travers des perspectives intra et interactionnelles chez l’enfant et la famille, à Metz, en présence de Cyril Tarquinio, son directeur de thèse, et des membres du jury composé de Guy Gimenez, Bruno Quintard, Carole Tardif, Michel Delage et Joanne Morris-Smith.

Cette thèse sur travaux  se donne pour but de présenter les écrits et une réflexion autour d’un parcours professionnel illustrant une démarche de psychothérapie dans la gestion des situations traumatiques. Ce travail veut montrer le cheminement vers une pensée complexe éclairant différemment la pratique clinique et s’ouvrant sur une approche thérapeutique intégrative, contextuelle entre deux paradigmes de linéarité et de circularité. Les situations traumatiques complexes comme celles des violences domestiques, nous ont appris à penser le trauma comme une blessure de multi niveaux : individuel et relationnel et nous ont confronté avec la nécessité de mettre en œuvre un modèle complexe de traitement intégratif pouvant répondre à ce type de situations.

Nous définirons une telle démarche intégrative comme l’incorporation de plusieurs points de vue dans un ensemble plus vaste de pensée et d’action   permettant de rendre compte au plus prés de la complexité d’une situation. Précisons tout de suite que nous entendons par démarche intégrative, une approche au sein de laquelle deux points de vue peuvent s’articuler dans une cohérence, et non pas dans un mélange informe. Il s’agira de l’intégration de deux épistémologies et de leurs déclinaisons méthodologiques respectives autour d’informations provenant d’éléments de diagnostique individuel et relationnel. Ces informations nous permettant d’articuler les notions de perspective développementale de l’enfant, de dynamique familiale et de répétition de processus intergénérationnel afin de rendre compte de la richesse du comportement d’un enfant en interaction avec les membres de sa famille.

Ainsi l’intégration de deux paradigmes, comme celui de la thérapie familiale systémique et de la thérapie EMDR, participera à la construction d’un ensemble thérapeutique plus vaste ou vont se croiser l’axe synchronique, horizontal des patterns familiaux, dans l’ici et maintenant et l’axe diachronique, vertical de l’histoire individuelle de chacun, en particulier de l’enfant en souffrance. Ces balayages horizontaux et verticaux nous permettront d’appréhender les blessures actuelles et d’autres plus anciennes qui peuvent avoir été réactivées par l’incident traumatique.

Cette approche thérapeutique intégrative vient confronter la pratique  « habituelle » de la psychothérapie, telle qu’elle nous a été enseignée et qu’elle se pratique régulièrement, où les réponses proposées sont le plus souvent de cloisonner le traitement individuel pour une ou plusieurs personnes d’un même groupe familial. Ce cloisonnement se retrouve aussi entre les différents thérapeutes impliqués et nous fait perdre de vue la dimension interactionnelle d’une situation en nous privant d’une vision contextuelle plus large.

Notre pratique clinique a constamment nourrit et fait évoluer notre façon de penser suivant un modèle de fonctionnement que nous pourrions qualifier « bottom-up », du faire vers le penser et du faire pour enrichir, nous permettant ainsi de gérer la complexité des situations en nous autorisant suffisamment de flexibilité et de fluidité pour s’adapter aux contraintes d’une situation complexe. Ainsi tout au long de ces années professionnelles nous avons considéré qu’un cadre théorique devait se nourrir de la pratique clinique qui l’enrichissait et le faisait évoluer pour l’adapter à la complexité des situations. Ce nouveau cadre théorique, d’un niveau supérieur de complexité permettant de mieux répondre aux demandes de la pratique, s’enrichissant à son tour dans une boucle interactive.

Nous commencerons par décrire la formation en thérapie systémique acquise au Mental Research Institute de Palo Alto en Californie, puis nous parlerons de la formation en thérapie familiale au sein de l’institut de thérapie familiale de Los Angeles. Nous sommes là dans l’apprentissage de la pensée circulaire. Ensuite nous discuterons du travail dans le centre de « Vivre sans Violence » à Marseille avec les auteurs de violence domestique ou une ébauche de pensée complexe commence à se faire jour. Viendront après la rencontre avec la psycho traumatologie et la thérapie EMDR pour aboutir à l’élaboration de cette approche intégrative mêlant dans une logique d’intervention les dimensions diachronique et synchronique pour proposer un modèle thérapeutique permettant de répondre aux enjeux de ces situations complexes.

Cf. encadré : fil conducteur des différentes étapes

Une approche intégrative des dimensions diachronique et synchronique en psychothérapie

Le point de départ est l’obtention du DESS (Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées) en 1978 à l’université de Grenoble et ensuite la formation nord-américaine en thérapie stratégique et familiale. Notre parcours professionnel s’est construit à partir d’une formation universitaire axée sur les concepts de la psycho dynamique et de la psychologie du développement avec un mémoire de DESS de psychopathologie sur la théorie systémique, puis une formation au Mental Research Institute de Palo Alto sur la théorie de la communication et l’approche interactionnelle et une pratique de la thérapie familiale structurale inspirée des travaux de Salvador Minuchin. Ensuite sont venues une formation à la psycho traumatologie et à l’EMDR et un détour par les théories de l’attachement et les notions de résilience. La curiosité et l’intérêt de vouloir intégrer ces différentes approches dans un ensemble cohérent ont guidé notre parcours au travers des expériences professionnelles.

Le traitement du trauma nous a permit de réfléchir à cette intégration entre les dimensions individuelle, diachronique et celle relationnelle, synchronique. Nous définirons la dimension diachronique comme ce qui concerne l’appréhension d’un fait ou d’un ensemble de faits dans son évolution à travers le temps et la dimension synchronique comme ce qui se passe dans le même temps.

Nous aborderons la dimension diachronique au travers de l’approche thérapeutique linéaire, dite causaliste telle celle développée par l’EMDR et la dimension synchronique par celle de l’approche dite circulaire, interactionnelle de la thérapie familiale.

Notre but dans ce travail est de mettre en évidence la nécessité d’articuler ces deux dimensions diachronique (perspective linéaire) et synchronique (perspective circulaire) dans le traitement des situations traumatiques complexes et de modéliser le « comment faire» de cette intégration, caractérisée par des allers retours entre ces deux dimensions. En effet, au cours de nos nombreuses années de pratique comme superviseur d’activités cliniques dans différents contextes professionnels, nous avons pu observer certaines rigidités d’intervention associées à des rigidités de pensées se traduisant par un travail exclusif sur la personne avec une non prise en compte de la souffrance de la relation ou dans d’autres situations, à la seule prise en compte de la dimension relationnelle et en oubliant la dynamique individuelle.

Nous terminerons en abordant les conséquences sur la pratique psychothérapeutique d’une telle approche clinique ainsi que sur la formation des thérapeutes. Tout au long de ce travail, la théorie de la hiérarchie des niveaux logiques (Bateson, 1987) nous a été d’une aide rigoureuse pour la modélisation d’une telle approche intégrative en proposant un plan de marche. De même que la théorie de l’attachement est venue enrichir notre réflexion en proposant un lien entre l’individuel et le relationnel, le modèle interne d’attachement et la structure familiale (Marvin, 2003).

Ce travail d’écriture se veut être le reflet de notre travail thérapeutique avec les enfants victimes de trauma, les familles et les couples qui nous ont permis de développer et de tester cette approche intégrative. Notre travail de superviseur et de formateur en thérapie familiale et en thérapie EMDR nous a permis de voir combien cette approche intégrative et ce plan de route spécifique pouvaient être une aide précieuse pour les thérapeutes confrontés à ces problématiques complexes.

Les questions posées par les praticiens dans le cadre de ces supervisions de pratique clinique sont souvent centrées autour « du comment faire », par où commencer, avec qui et pour faire quoi. Nous avons souvent observé que la définition d’un plan de traitement indiquant la route du travail est souvent aléatoire et que le thérapeute semble naviguer à vue. Nous aimerions dans ce travail pouvoir apporter quelques éclairages afin d’aider cette navigation au sein de fleuves pas toujours tranquilles.

Notre pratique clinique nous a amené à penser que l’articulation entre les deux paradigmes thérapeutiques individuel et interactionnel devait suivre un chemin précis. Nous proposons que la dimension individuelle s’intègre dans la dimension relationnelle, le mode linéaire de pensée dans le mode circulaire, la dimension diachronique dans la dimension synchronique.

Pourquoi ? Le travail avec les auteurs de violence domestique, les couples et leurs enfants au sein de l’association « Vivre Sans Violence en Famille » et les notions de hiérarchie des niveaux logiques et de la théorie de la communication développés par le Mental Research Institute nous a servi de base pour réfléchir et conceptualiser cette intégration. Les recherches du MRI ont montré que le niveau interactionnel d’échange entre deux participants est d’un niveau logique supérieur au niveau individuel comme l’est celui du niveau non-verbal par rapport au niveau verbal, qu’un message sera congruent quand le niveau non verbal valide le niveau verbal et qu’une hiérarchie familiale est congruente quand la place de chacun des membres est validée par la structure. Ainsi le travail thérapeutique sera congruent quand le traitement de l’information synchronique de la dimension interactionnelle viendra soutenir et valider celui de l’information diachronique de la dimension individuelle.

Conceptualiser cette intégration de la dimension diachronique, linéaire chez l’individu traumatisé dans la dimension synchronique, interactionnelle du système familial est un exemple de congruence de niveau logique.

Cette notion de congruence ouvre une fenêtre sur une approche thérapeutique nouvelle permettant de gérer la complexité de certaines situations en articulant la clinique individuelle dans sa dimension diachronique autour du regard intrapsychique ou de pensée linéaire (le comportement symptomatique de la personne traumatisée) avec celui de la clinique relationnelle dans sa dimension synchronique autour du regard interactionnel ou de pensée circulaire (le dysfonctionnement familial en relation avec la situation traumatique). Nous voulons ainsi éviter les clivages thérapeutiques souvent observés dans le traitement des situations complexes où de nombreux thérapeutes différents travaillent indépendamment les uns des autres avec des portions de la famille et sans vision de l’interaction entre ses membres. Ce travail en tranches ne permet pas la navigation au sein du système familial traumatisé et crée une hiérarchie du système thérapeutique aplatie où premièrement enfants et parents sont mis au même niveau. De plus, cette hiérarchie aplatie est in congruente car elle donne la priorité à la personne sur les interactions entre les personnes. Hors nous savons que la congruence vient du postulat de la primauté du relationnel sur l’individuel. Comme nous l’avons déjà signalé, de la même façon que les individus ne peuvent pas ne pas communiquer et que toute communication est organisée, hiérarchisée, au sein d’un groupe, ces mêmes individus ne peuvent pas ne pas être organisés et hiérarchisés. Le non respect de cette hiérarchie est source d’in congruence se traduisant par des difficultés relationnelles et des comportements de violence. Nous pensons qu’il en est de même pour le fonctionnement d’un système thérapeutique comprenant les membres d’une famille et les différents intervenants pouvant être en conflit explicite ou implicite en rapport avec une orientation clinique où une position hiérarchique.

Ainsi cette approche interactive connue des thérapeutes familiaux, en particulier dans le travail avec les enfants, privilégie la dimension contenant d’une relation d’un niveau logique supérieur qui participe à la régulation émotionnelle d’un individu, l’organise et le structure.

Cette approche contextuelle, intégrative se nourrit aussi de la réflexion sur la définition du symptôme présenté par l’enfant. Est-ce que ce symptôme est seulement une information sur l’enfant et sa souffrance ? Nous avons là un contexte de travail très limité, l’enfant est le patient. Mais comment pouvons-nous le savoir si nous n’avons pas observé l’enfant en interaction avec son ou ses parents. Voir l’enfant seul c’est faire l’hypothèse que le système relationnel de l’enfant est fonctionnel, sain et que les relations d’attachements sont sécures. C’est décontextualiser l’enfant et faire l’hypothèse que son symptôme n’est pas une information non-verbale sur le fonctionnement familial. Dans certaines situations c’est le cas, mais nous ne pouvons pas le savoir pas avant d’avoir pu l’observer. Hors la pratique clinique nous a enseigné que lorsqu’un enfant souffre, cette souffrance a un impact relationnel et que la réponse des parents à cette souffrance peut avoir un effet déstabilisant pour l’enfant. Nous avons ainsi appris à contextualiser la souffrance de l’enfant en regardant la réponse du ou des parents et a évaluer la qualité contenante ou pas du parent (Shapiro et al, 2012 ; Morris-Smith & Silvestre, 2013)  Les recherches nord-américaines du « National Child Trauma Stress Network” sur l’impact des incidents traumatiques chez les enfants montrent que 20% seulement peuvent être considérés comme des « traumas simples ou aigus » portant uniquement sur l’enfant.

Les autres situations vont être considérées comme des « traumas complexes » avec une souffrance de l’enfant et du système familial due à des évènements traumatiques multiples ou chroniques (NCTSN, 2003). La définition du symptôme présenté sera plus large, elle portera sur la souffrance de l’enfant et de sa famille au travers de ses dysfonctionnements. En accord avec ce que nous avons expliqué précédemment, le symptôme devra d’abord être abordé dans sa dimension synchronique, relationnelle et ensuite, si nécessaire, dans sa dimension diachronique, individuelle.

Ce modèle de traitement est celui d’un travail d’intégration multi-niveaux, de la thérapie individuelle pour l’enfant ou l’adulte souffrant avec celui de la thérapie relationnelle familiale pour prendre en compte la souffrance de la famille ou du couple (Morris-Smith & Silvestre, 2013). Nous devons garder présent à l’esprit que lors d’un trauma, les parents, quand la victime est un enfant, ou l’autre partenaire, pour un couple, peuvent avoir été sujets à la réactivation d’éléments traumatiques de leurs histoires personnelles (Silvestre, 2010).

Le travail familial dans sa dimension synchronique   crée un cadre de sécurité permettant au thérapeute d’évaluer la redondance des incidents traumatiques par l’exploration de l’histoire traumatique familiale, la prise en compte du réveil possible d’éléments traumatiques dans l’histoire des parents,   la perte de leur capacité contenante envers les enfants et les perturbations de l’attachement. Il permet le développement d’un récit narratif qui va mettre des mots sur des émotions et ainsi remplir les « blancs ou les trous » qui caractérisent une histoire narrative défaillante et inadaptée suite à un trauma.

L’histoire narrative renforce la liaison entre les membres de la famille et resitue l’incident traumatique dans une dimension temporelle, car elle permet l’intégration neuronale en étant le pont entre l’histoire et le temps présent (Siegel, 1999). Elle permet de préparer la transmission non traumatique aux futures générations en transformant un évènement traumatique douloureux en un récit narratif au travers duquel les choses peuvent être dites avec distance (Delage, 2008). Cette activité narrative s’appuie sur et encourage le développement des résiliences individuelles et familiales car nous savons que le trauma réduit la vision du monde, favorise l’isolement et le développement de la honte. Le récit narratif permet de comprendre l’incompréhensible, de généraliser les ressources disponibles en s’appuyant sur des déclencheurs quotidiens de compétences et de normaliser les réponses familiales à la crise.

Ce travail familial favorise donc la création d’un contexte de sécurité ou la réduction de la vulnérabilité émotionnelle et le contrôle des affects seront possibles grâce à l’augmentation de la capacité de partage des émotions et le développement de l’empathie. L’évaluation du fonctionnement familial s’appuie sur des éléments développés par Salvador Minuchin (1998) dans l’approche structurale, à savoir les notions de hiérarchie fonctionnelle, de frontières ouvertes ou fermées entre les différents sous-systèmes parentaux, du couple et de la fratrie, de coalition, de cycle de vie, de rituels d’activités quotidiennes, de mode de communication, d’expression des émotions et de capacités de résolution de problèmes.

En résumé nous pouvons dire que l’apport du contexte familial peut ainsi assurer la régulation émotionnelle d’un enfant traumatisé quand le cortex préfrontal de celui-ci ne peut plus.

La mère de Maxime nous contacte pour avoir de l’aide avec son fils. Maxime à 5,5ans, sa maman 34ans est enseignante, son papa 36ans est artisan et il a une petite sœur Lola de 2ans. Nous demandons à toute la famille de venir pour le premier entretien et les difficultés décrites par les parents sont les colères de Maxime à la maison. L’anamnèse nous apprend que le père a eu un cancer du nez avec une première opération en avril 2012 et une deuxième pendant l’été. Pendant l’anamnèse les parents réalisent que les cris de Maxime ont augmenté pendant l’été. Les deux parents sont en thérapie individuelle.

Deux éléments caractérisent la dynamique familiale, le père se plaint des cris de la mère envers Maxime et la mère dit être dépassée par Maxime, lui répétant sans cesse ce qu’il doit faire et ensuite lui criant dessus. Face à cette description des parents, Maxime écoute, interagit de façon pertinente et dessine tout en restant très attentif aux comportements de ses parents. En fin de séance, nous lui apprenons ainsi qu’à ses parents, la technique dite du papillon et du lieu sûr, comme une ressource à utiliser en cas de besoin.

Qu’est-ce que nous comprenons durant cette séance ? Les parents semblent très vulnérables émotionnellement et ils font de nombreuses connections entre la dimension synchronique des interactions familiales et la dimension diachronique de leurs histoires respectives. Ainsi la mère de Maxime fait le lien entre le mépris et la colère qu’elle ressent envers son partenaire quand il n’intervient pas pour l’aider avec Maxime et les comportements de mépris de son propre père, auteur de violences sexuelles et physiques sur elle. Elle se sent alors envahie par des sentiments de peur, d’insécurité et d’abandon. De son côté, le père de Maxime fait le lien entre les comportements de maltraitance de sa mère, elle aussi enseignante et ceux de sa compagne envers son fils. Tous les deux sont pris dans une boucle interactive où il se dit être tenu à distance de son fils par sa compagne, elle lui répond qu’elle voudrait qu’il intervienne plus avec Maxime et ainsi qu’il la sécurise ; il lui rétorque que ses cris envers Maxime sont des déclencheurs lui rappelant le comportement de sa mère et il s’éloigne. Ils se laissent constamment envahir par les enfants et montrent des difficultés pour fonctionner ensemble dans la vie quotidienne.

Quelle est alors la direction thérapeutique ? Avant de proposer une autre rencontre familiale, nous décidons de voir les parents sans les enfants pour discuter de la résonnance des éléments diachroniques de chacun dans leur relation et évaluer la qualité plus ou moins contenante de cette relation. Ils ont conscience de l’impact de leurs histoires personnelles sur leur relation de couple et de parents. Après cette constatation nous les encourageons   à continuer de travailler cette dimension intrapsychique dans leur thérapie individuelle et nous nous recentrons sur la dimension synchronique de l’ici et maintenant. Nous leur demandons d’élaborer un récit narratif expliquant le cancer du père et les conséquences sur le fonctionnement familial pour le partager avec les enfants lors de la prochaine rencontre familiale.

Nous faisons l’hypothèse que le partage de ce récit aidera Maxime à comprendre ce qui s’est passé avec papa et lui permettra de mieux réguler ses émotions. Le processus à l’œuvre est celui de la mise en lien entre une information cognitive présentée de façon congruente par les parents et les ressentis émotionnels et sensoriels de l’enfant. L’activité corticale du cerveau des parents vient réguler les manifestations sous-corticales de l’enfant.

En ce qui concerne la dynamique familiale, nous discutons avec le père de sa participation dans des rituels quotidiens d’attachement comme le bain, l’organisation des repas et le coucher afin qu’il soit plus présent avec les enfants. Ensuite nous les aidons à renforcer les frontières de leur couple, en prenant par exemple quelques repas tous les deux sans les enfants pour clarifier le fonctionnement de la hiérarchie familiale. Les parents nous ayant expliqué qu’ils se faisaient un devoir de manger tous les jours avec les enfants et qu’ils n’avaient plus aucun moment pour discuter tous les deux. Une telle prescription de comportement permet de resituer les enfants à leur place d’enfants et génère chez eux un sentiment d’apaisement car les parents diminuent l’enchevêtrement relationnel.

Lors de la séance suivante nous pouvons déjà mesurer l’impact de ces changements de rituel. Les parents semblent plus contenants et Maxime est plus apaisé. Il déclare même « papa n’est plus malade, il joue avec moi » Les parents font le récit de la maladie du père permettant ainsi à Maxime de poser des questions sur la « boule » que papa avait dans son nez, sur comment les médecins sont allés la chercher et sur pourquoi papa avait un pansement sur son nez.

Après le récit nous demandons à Maxime de penser à ce que papa et maman ont dit et de dessiner ce qui a pu venir dans sa tête quand il les écoutait. Après un premier dessin nous déclenchons un processus d’association en effectuant sur Maxime des stimulations bilatérales tactiles jusqu’à ce que vienne dans sa tête un autre dessin et ainsi de suite tant qu’il vient un dessin.

Nous sommes là dans la phase du traitement de l’information intrapsychique des souvenirs traumatiques de Maxime, phase qui s’appuie sur la dimension relationnelle familiale.

Puis il y a un retour sur la dynamique familiale quand la mère parle de son souci pour la santé de son mari et presque simultanément des bêtises que Maxime fait à la maison. Nous passons alors dans une vision interactionnelle en proposant à la famille un recadrage du comportement de Maxime avec sa mère: il fait des bêtises et se met en colère avec elle quand il sent qu’elle est triste et soucieuse, c’est sa façon de s’occuper d’elle. Nous contextualisons ainsi le symptôme de Maxime en faisant l’hypothèse que ses comportements (ses bêtises et ses colères) ont une fonction dans le groupe familial et en particulier avec sa mère. C’est un autre exemple de ponctuation et de création de réalité redéfinissant le comportement de Maxime.

Nous voulons illustrer ici toute la complexité des impacts du trauma sur un fonctionnement familial marqué par la réactivation de blessures anciennes. Les bêtises de Maxime parlent de son activation émotionnelle, conséquence du trauma du cancer du père et du fonctionnement familial: comportement d’évitement et désengagement du père, comportement anxieux et enchevêtrement de la mère. Nous sommes bien là au cœur de la nécessité de ce regard thérapeutique complexe tricotant les dimensions individuelles et relationnelles et de combien le changement individuel doit s’appuyer sur un support relationnel.

Nous terminons la séance en confirmant les différentes prescriptions de rituels ; celle du père avec les enfants et celle du couple qui permet aux enfants de voir que les parents font des choses ensemble, se parlent et donc se soutiennent.

Comme commentaires sur cet exemple clinique, nous reprenons ici ce que nous avons écrit (Silvestre, 2010) pour montrer combien la stimulation des capacités de résilience face à un traumatisme nécessite l’intégration d’un travail thérapeutique intrapsychique et interrelationnel prenant en compte les dimensions diachronique et synchronique. Ce travail intégratif   permet à un système familial de pouvoir à nouveau exprimer toute sa capacité fonctionnelle au travers de la qualité de ses stratégies adaptatives. Le travail sur les conséquences des incidents traumatiques nous apprend donc à dépasser les cloisonnements et nous oblige à développer des modes de pensées et d’actions basés sur la complémentarité et non plus l’opposition.

C’est une constante interaction entre les capacités de résilience individuelle de chacun et la capacité de résilience du groupe familial ; l’une et l’autre se nourrissant dans un processus dynamique de boucle de rétroaction positive. Nous sommes ainsi obligés à apprendre à travailler sur plusieurs niveaux et à modéliser des approches thérapeutiques complexes mais tellement stimulantes pour l’émergence des ressources de nos patients et de leurs familles.

Table des matières

CHAPITRE 1.   LA PERSPECTIVE SYSTEMIQUE, DIMENSION SYNCHRONIQUE

  • Université de Grenoble, DESS
  • Mental Research Institute, Palo Alto
    • La thérapie interactionnelle
    • La théorie de la communication
    • La hiérarchie des niveaux logiques
    • Commentaires
  • Institut de Thérapie Familiale de Los Angeles
    • La thérapie familiale structurale
    • Thérapie familiale et toxicomanie
    • Commentaires

CHAPITRE 2.   VIVRE SANS VIOLENCES

  • 2.1 Couple et Violence
  • 2.2 Application de la loi et ses conséquences dans les situations de violence intra-familiale
  • 2.3 Du traitement de la violence conjugale
  • 2.4 Commentaires

CHAPITRE 3. PSYCHOTRAUMATISME ET EMDR, DIMENSION DIACHRONIQUE.

  • 3.1 L’intérêt de l’EMDR dans la prise en charge des auteurs et des victimes de violence conjugale
  • 3.2 La thérapie EMDR

CHAPITRE 4. DEMARCHE INTEGRATIVE INTRA ET INTER. DIMENSIONS DIACHRONIQUE ET SYNCHRONIQUE. GESTION DE LA COMPLEXITE

  • 4.1 Pratique clinique
  • 4.2 Modèle intégratif complexe
  • 4.3 Approche intégrative inter et intra du trauma
  • 4.4 Commentaires
  • 4.5 Contre-indications d’un tel travail intégratif
  • 4.6 Place du thérapeute dans ce travail intégratif
  • 4.7 Exemples cliniques

CHAPITRE 5. UN THERAPEUTE INTEGRATIF. CONCLUSION

  • 5.1 Un thérapeute intégratif
  • 5.2 Conclusion

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