Votre patient·e vous confie des violences conjugales : quelles sont vos obligations légales ?

Votre patient·e vous confie des violences conjugales : quelles sont vos obligations légales ?

Mis à jour le 18 décembre 2025

La scène est malheureusement courante. En séance, votre patiente vous décrit des faits de violences psychologiques, économiques, parfois physiques, exercées par son conjoint. Elle minimise, revient, hésite. Vous percevez l’emprise. Vous évaluez un danger réel.

Et une question s’impose : que pouvez-vous — que devez-vous — faire ?

Ce que beaucoup de psychologues ignorent

Depuis la loi du 30 juillet 2020, les médecins et professionnels de santé peuvent lever le secret professionnel pour signaler des violences conjugales au procureur de la République, même sans l’accord de la victime, lorsque deux conditions sont réunies :

  • un danger immédiat pour la vie de la victime,
  • une situation d’emprise qui l’empêche de se protéger.

Cette disposition, inscrite à l’article 226-14 du Code pénal, a été saluée comme une avancée majeure dans la lutte contre les féminicides.

Mais où se situent les psychologues ? 

N’étant pas reconnus comme « professionnels de santé » au sens du Code de la santé publique, ils ne sont pas explicitement visés par cette dérogation — ce qui crée une insécurité juridique importante quant à la possibilité de s’en prévaloir.

Une zone grise juridique, pas une réponse claire 

Car la question n’est pas tranchée. En doctrine, deux lectures s’affrontent :

  • Certains juristes estiment que l’exception doit être interprétée strictement : seuls les professionnels de santé peuvent s’en prévaloir, les psychologues en sont donc exclus.
  • D’autres défendent une lecture fonctionnelle, fondée sur la finalité de protection des victimes, qui pourrait inclure les psychologues.

Aucune jurisprudence n’a encore tranché. Le psychologue confronté à cette situation se retrouve donc dans un entre-deux inconfortable : soumis au secret professionnel (ce que la Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises), mais sans certitude sur sa capacité légale à le lever dans ce contexte précis.

Cette exclusion résulte du périmètre retenu par le législateur en 2020, , centré sur les professionnels de santé, sans que la place des psychologues n’ait été explicitement discutée, et construit en concertation avec l’Ordre des médecins — sans échange avec les organisations représentant les psychologues. Une zone d’incertitude qui, à ce jour, n’a pas été comblée.

Et les autres textes ? Ce qu’ils permettent (ou non) 

Face à cette situation, d’autres pistes juridiques sont parfois évoquées :

Les dérogations classiques au secret (article 226-14) peuvent s’appliquer dans certains cas précis — notamment lorsque des mineurs ou des personnes vulnérables sont concernés — et sous réserve des conditions légales strictes..

L’article 223-6 du Code pénal (non-assistance à personne en danger) est parfois invoqué. Mais attention : ce texte exige un danger grave, actuel et imminent, et une possibilité d’agir sans risque pour soi. La jurisprudence est très restrictive. La non-assistance ne saurait justifier, à elle seule, une levée automatique du secret professionnel.

L’accompagnement de la victime vers ses propres démarches reste souvent la voie privilégiée — mais elle suppose de maîtriser les dispositifs existants pour orienter efficacement.

Des questions sans réponse unique

Concrètement, comment articuler secret professionnel, protection de la victime et cadre légal ? Comment évaluer ce fameux « danger immédiat » ? Que risque-t-on à parler ? À se taire ? Que faire si la victime refuse toute démarche ? Et si des enfants sont exposés aux violences ?

Ces questions n’ont pas de réponse universelle. Elles dépendent du contexte, du statut du psychologue (libéral, salarié, fonction publique), de la configuration familiale, et d’une analyse juridique rigoureuse — que l’intuition clinique, aussi fine soit-elle, ne peut remplacer.

Sortir du flou pour accompagner plus sereinement

Beaucoup de psychologues avouent une forme d’inconfort face à ces situations : la peur de mal faire, de trop en dire ou pas assez, de se retrouver pris·e dans une procédure qu’ils ne maîtrisent pas.

Croire que la main courante « se transformera en plainte », ignorer que l’abandon du domicile conjugal n’existe plus juridiquement, confondre signalement et information préoccupante… Ces approximations, fréquentes, peuvent avoir des conséquences graves — pour la victime comme pour le professionnel.

Violences conjugales : quelques points de vigilance juridique 

Lorsqu’un·e psychologue est confronté·e à des violences conjugales, plusieurs zones de vigilance doivent être intégrées — sans qu’aucune ne fournisse, à elle seule, une réponse clé en main :

  • La levée du secret professionnel : les psychologues ne sont pas explicitement visés par la dérogation de 2020, ce qui crée une insécurité juridique persistante.
  • L’évaluation du danger : le droit exige un danger grave, actuel et imminent, dont l’appréciation repose sur des critères juridiques spécifiques, distincts de l’évaluation clinique.
  • L’emprise : si elle est reconnue par le droit pénal, elle ne constitue pas en soi une autorisation générale de signaler.
  • La non-assistance à personne en danger : son articulation avec le secret professionnel est particulièrement restrictive en jurisprudence.
  • La présence d’enfants : elle modifie profondément le cadre juridique et les obligations du professionnel.

Aller plus loin 

Les informations présentées ici sont à titre informatif et ne remplacent pas l’avis d’un professionnel du droit. Les règles peuvent évoluer, et il est recommandé de vérifier la législation en vigueur ou de consulter un juriste en cas de situation spécifique.

Clarifier ces enjeux suppose un travail spécifique sur l’articulation entre secret professionnel, protection des victimes et responsabilités pénales du psychologue, à partir de situations cliniques concrètes.

Une formation dédiée propose d’explorer ces questions en croisant analyse juridique rigoureuse et pratique clinique.

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