Le bonheur, c’est celui que l’on donne aux autres

Mis à jour le 25 septembre 2011

David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Mars 2009

Autour d’un brunch dans un restaurant proche de leurs laboratoires du Massachusetts Institute of Technology, aux États-Unis, Laura et Jack me parlent de leurs brillantes carrières. Curieusement, ils baissent un peu les yeux. Jeunes quinquas, toujours minces et beaux, je les ai pourtant toujours connus avec le regard clair des Américains à qui tout a réussi. Mais là, mes deux amis – l’un et l’autre déjà quasiment « nobélisables » – reconnaissent qu’ils n’ont plus le feu sacré. « Tu vois, au bout d’un moment, on comprend que ça ne va pas changer le monde de publier un article scientifique de plus, et que les prix et les honneurs des communications dans les congrès internationaux, c’est assez vain. Ça ne nourrit pas l’âme. C’est un peu tard pour le comprendre, mais, aujourd’hui, nous cherchons plutôt comment nous réinventer… »

Une de leurs tâches, en tant que directeurs de laboratoire, continue malgré tout de les faire vibrer : « Passer du temps avec les jeunes doctorants qui travaillent avec nous, leur enseigner ce que nous avons appris, les aider à créer, les stimuler pour qu’ils soient plus audacieux, plus rigoureux, les aider à piloter leur carrière…, c’est une des grandes joies de notre métier. Peut-être que c’est à cela que nous devrions nous consacrer plus particulièrement maintenant. » Cela ne me surprend pas. Je me souviens d’un de mes maîtres en psychothérapie qui me disait que les métiers où les gens sont les plus heureux sont ceux qui permettent le plus directement d’aider quelqu’un : pompier, psychologue, médecin, assistante sociale…

 

Moi-même, à un moment, j’ai quitté mon laboratoire pour pouvoir me consacrer aux dispensaires dans lesquels j’avais commencé à travailler et à mon engagement avec Médecins sans frontières. Je voulais être, au jour le jour, plus proche des êtres humains plutôt que près des machines de mon centre de recherche.

Matthieu Ricard, moine et philosophe bouddhiste, aime à rappeler que la seule source de bien-être durable, ce n’est pas ce que l’on fait pour se faire plaisir à soi, mais ce que l’on fait pour faire plaisir aux autres. N’aurions-nous pas le pouvoir de nous tourner chaque jour davantage vers les autres que vers nous-même, ne serait-ce que dans le but « égoïste » d’être plus heureux ?

À l’université de Vancouver, au Canada, la chercheuse Elizabeth Dunn a distribué de l’argent à deux groupes d’étudiants. Les premiers devaient le dépenser pour eux-mêmes. Les seconds devaient faire un cadeau à quelqu’un ou un don à un organisme caritatif (1). À leur retour, ceux qui s’étaient offert des vêtements ou des gadgets avaient eu un plaisir instantané, mais n’en avaient gardé aucune satisfaction durable. Les autres, au contraire, après avoir fait plaisir à quelqu’un, étaient rayonnants.

Le père Ceyrac a écrit Tout ce qui n’est pas donné est perdu (Desclée de Brouwer, 2000). Je ne sais pas si j’irais jusque-là. Mais ce dont je suis certain, c’est qu’à l’occasion d’un prochain coup de blues, nous aurons tout intérêt à nous asseoir et à penser à un proche auquel nous pourrions rendre service plutôt que faire du shopping ou d’engloutir un pot de glace. Et si nous adoptions tous ce modèle du plaisir sur un mode altruiste, cela ne pourrait que mettre un peu de lumière dans cette année de crise.

1. « Spending money on others promotes happiness » de E.W. Dunn, L.B. Aknin et M.I. Norton, in Science, mars 2008.

Mars 2009

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