
Psychotraumatisme et addiction : un nouveau guide pour comprendre, identifier, et prendre en charge la pathologie duelle
Mis à jour le 19 juin 2025
La Fédération Addiction & le Centre national de ressources et de résilience (Cn2r) a publié un guide méthodologique qui aborde le lien clairement établi entre addictions et psychotraumatisme.
Sorti en avril 2025, il est disponible en téléchargement digital gratuitement ou en version papier
Article publié en français – accès libre en ligne
Points-clés
Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et le trouble de l’usage de substances (TUS) coexistent souvent.
Parmi les troubles souvent associés au trouble de stress post-traumatique (TSPT), le trouble de l’usage de substance (TUS) est l’un des plus courants. Cette forte association est indépendante de l’âge et est observée chez l’adolescent, l’adulte et la personne âgée (Najavits, 2015). Elle a été confirmée tant par des études épidémiologiques que par des recherches cliniques.
Comparée à chacun des troubles pris isolément, la dualité TSPT-TUS est associée à des profils cliniques plus sévères, à un taux d’attrition plus élevé, à une moins bonne réponse aux traitements disponibles et à un taux de rechute accru.
Les patients présentant la dualité TSPT-TUS peuvent tolérer et bénéficier des psychothérapies centrées sur le trauma fondées sur les preuves.
Tout comme un patient diabétique atteint d’un cancer nécessite des soins pour chacune de ses affections, une personne présentant la pathologie duelle doit recevoir un traitement adapté à chacun de ses troubles. La présence de l’un ne doit pas constituer un obstacle au traitement de l’autre.
La littérature scientifique identifie plusieurs stratégies susceptibles d’améliorer l’assiduité et la réponse au traitement. Ces stratégies sont faciles à mettre en œuvre.
Les deux troubles doivent être évalués dès l’instauration du traitement puis régulièrement, au moyen d’outils validés.
Il est recommandé d’utiliser des traitements intégrés ou combinés en tenant compte des préférences du patient.
Présentation du guide
Trouble de stress post-traumatique et trouble de l’usage de substance : deux visages, une pathologie
Traumatismes psychiques et addictions sont intimement liés. Pourtant, les professionnels de terrain manquent encore d’outils adaptés pour répondre aux besoins des personnes concernées. Face à ce constat, la Fédération Addiction et le Centre national de ressources et de résilience (CN2R) se sont unis pour élaborer un guide méthodologique inédit, pensé comme une boîte à outils essentielle pour structurer et améliorer la prise en charge.
Issu du projet PsychoTraumAddicto (soutenu par le Fonds de lutte contre les addictions), ce guide est le fruit du dialogue entre experts de l’addictologie et de la psychotraumatologie. Son objectif ? Fournir aux acteurs du soin un cadre clair, des repères théoriques solides et des solutions concrètes pour accompagner les personnes vivant avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et un trouble de l’usage de substance (TUS) – un ensemble clinique appelé pathologie duelle.
Comprendre, identifier, accompagner la pathologie duelle TSPT-TUS
Conçu pour et avec le terrain, pensé pour être directement opérationnel, ce guide s’adresse à tous les professionnels : psychologues, médecins, travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés… Son approche allie rigueur scientifique et application pratique, avec des verbatims, des mises en situation et des cas cliniques pour une appropriation immédiate.
Son format en questions/réponses permet une navigation fluide pour répondre aux interrogations principales sur le terrain :
- Quels sont les fondamentaux de la pathologie duelle ? Une définition claire pour poser les bases et harmoniser les pratiques.
- Comment comprendre la pathologie duelle ? Une plongée dans les mécanismes psychiques et neurobiologiques en jeu.
- Comment l’identifier ? Des méthodes cliniques éprouvées et des outils concrets pour le repérage et le diagnostic.
- Comment accompagner une personne concernée ? Une méthodologie complète : organisation du soin, stratégies thérapeutiques, orientations cliniques, mises en situation…
- Quelles perspectives pour améliorer les pratiques ? Un panorama des avancées à venir : nouveaux outils de détection, renforcement des approches thérapeutiques, collaborations intersectorielles…
Une fiche pratique dédiée à la pathologie duelle TSPT-TUS
La Fédération Addiction et le Cn2r ont également publié une fiche pratique consacrée à ce sujet, réalisée avec la Fédération Addiction.
Cette fiche a pour objectif d’offrir aux professionnels des repères clairs pour mieux comprendre et identifier la pathologie duelle TSPT-TUS, en intégrant des savoirs clés et des « bons réflexes » à adopter. Son format court (2 pages) la rend particulièrement accessible et facilement mobilisable, tant comme outil personnel que comme support de sensibilisation.
Les défis cliniques posés par la dualité TSPT-TUS
Indépendamment de ses mécanismes étiopathogéniques, la pathologie duelle TSPT-TUS, une fois installée, soulève plusieurs défis cliniques (Norman et al., 2020).
Défi 1 : un profil clinique plus sévère
Si chacun des deux troubles peut engendrer une symptomatologie sévère et entraîner des répercussions délétères aux niveaux fonctionnel et vital, leur association les complexifie et les aggrave. Ainsi, comparativement à chacun d’entre eux, la pathologie duelle TSPT-TUS est souvent associée à des tableaux cliniques plus sévères se traduisant par :
- Une histoire traumatique plus souvent marquée d’événements graves dans l’enfance (Khoury et al., 2010) ;
- Un nombre plus élevé de troubles de santé mentale associés, notamment les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et les troubles de la personnalité (Sells et al., 2016 ; Wolitzky-Taylor, et al., 2012) ;
- Des taux plus élevés d’idées suicidaires et de tentatives de suicide (Back et al., 2019 ; Norman et al., 2018 ; Mills et al., 2012) ainsi que de comportements auto-agressifs ;
- Une violence accrue (Barrett et al., 2014 ; Blanco et al., 2013 ; McDevitt-Murphy et al., 2010 ; Mills et al., 2006 ; Norman et al., 2018) ;
- Un plus grand nombre d’altérations fonctionnelles (Hien et al., 2021, par exemple)
- Une plus grande instabilité sociale et une moins bonne qualité de vie (Blakey et al., 2022 ; Blanco et al., 2013 ; Norman et al., 2018) ;
- Une moins bonne réponse aux traitements disponibles (Simpson et al., 2020) et un taux de rechute plus élevé du TUS (Norman et al., 2007 ; Ouimette et al., 1997).
De plus, le TSPT est associé à une plus grande sévérité du besoin irrépressible de consommer [craving] (Coffey et al., 2002 ; Saladin et al., 2003) et à une plus grande sévérité des symptômes de sevrage (Boden et al., 2013).
Défi 2 : une attrition plus élevée
La pathologie duelle TSPT-TUS est associée à une augmentation significative des interruptions précoces du traitement.
Concernant le TSPT, une méta-analyse de référence portant sur 42 études (Imel et al., 2013) rapporte un taux moyen d’interruption du traitement de 18 %. Ce taux peut s’avérer plus élevé dans certains groupes spécifiques comme les vétérans (Myers et al., 2019).
Concernant le TUS, les données de la Substance Abuse and Mental Health Services Administration indiquent un taux moyen d’abandon thérapeutique égal à 35%, ce taux pouvant atteindre 55 % dans certaines populations (SAMHSA, 2015).
Ces chiffres augmentent encore en cas de pathologie duelle TSPT-TUS. En effet, Simpson et al. (2017) montrent que, chez les patients souffrant simultanément de ces deux troubles, seulement 50 % environ parviennent à terminer leur traitement — que ce dernier soit fondé sur une approche par exposition, sur le développement de stratégies d’adaptation ou qu’il porte sur la dépendance. Ce chiffre suggère un taux moyen d’interruption de traitement avoisinant 50 %, soit un taux nettement supérieur à celui observé pour le traitement du TSPT seul (18 %) ou du TUS seul (35%).
Fait notable cependant, plusieurs recherches portant sur les interruptions de traitement révèlent que parmi les patients ayant cessé leur traitement prématurément, une proportion importante (entre 36% et 68%) présente une amélioration cliniquement significative ou atteint un bon niveau de fonctionnement concernant les symptômes du TSPT et/ou du TUS avant d’interrompre la prise en charge (Szafranski et al., 2017, 2018). Ainsi, l’arrêt du traitement ne serait pas systématiquement lié à une détérioration de l’état clinique ou à une absence d’amélioration.
Défi 3 : une réalité clinique sous-estimée chez les cliniciens
Dans leur grande majorité, les personnes présentant la pathologie duelle TSPT-TUS ne voient qu’un seul de leur trouble évalué. Plusieurs raisons peuvent y participer.
L’organisation des soins en filières distinctes : la prise en charge du TSPT et celle du TUS sont souvent cloisonnées entre le secteur de l’addictologie et celui de la psychiatrie. Chaque champ tend à se concentrer sur la pathologie qui lui est propre, au détriment de l’évaluation et du traitement de l’autre trouble.
L’existence d’obstacles pratiques déclarée par les professionnels tels que le manque de temps, les ressources financières limitées des établissements ou encore l’absence d’expertise suffisante pour traiter les deux troubles de manière conjointe (voir par exemple Gielen et al., 2014).
La honte et la culpabilité ressenties par les patients dont beaucoup n’osent pas évoquer, selon le champ d’expertise du professionnel qui les suit, leur consommation de substances ou leur histoire traumatique.
Défi 4 : des croyances professionnelles tenaces bien que contre-productives
Malgré l’accumulation de connaissances depuis plus de deux décennies, trois croyances erronées entravent aujourd’hui encore l’évolution des soins proposés aux personnes présentant la pathologie duelle TSPT-TUS.
Aller plus loin
Formation : L’EMDR dans le traitement des addictions
Dossier(s) : EMDR et dépendances / addictions