Comment prendre en charge les traumatismes psychiques liés aux attentats ? Il y a bien sûr une foule de réponses, aussi variées que singulières. Il y a l’option chimique, avec les prises classiques de médicaments anxiolytiques, voire d’antidépresseurs. Il y a ceux qui vont insister sur l’importance de la parole, individuelle ou collective. Et il y a tous ceux qui attendent ou désespèrent. Depuis quelques années, les thérapies dites cognitives ont envahi ce champ, à l’instar de l’EMDR (Eye movement desensitization and reprocessing).
Plusieurs dizaines de victimes des attentats de novembre ont eu recours à cette technique controversée, dans leur travail de reconstruction. Et très souvent avec succès. Si bien qu’aujourd’hui, sur la page Facebook de l’association de victimes Life for Paris, certains n’hésitent pas à la recommander. La découverte de l’EMDR a été faite un peu par hasard. Lors d’une promenade en mai 1987, une psychologue américaine de l’école de Palo Alto (Californie), Francine Shapiro, se rend compte que ses «petites pensées négatives obsédantes» disparaissent quand elle fait aller et venir rapidement ses yeux de gauche à droite. Elle travaille alors sur cette méthode et, peu à peu, va naître l’EMDR, une technique qui consiste, entre autres, «à faire effectuer une série de mouvements oculaires à un patient souffrant d’un traumatisme afin de le déconnecter de souvenirs envahissants et des émotions négatives qui en résultent». Et cela parviendrait à soigner le patient de son syndrome lié à ce choc traumatique, voire à le «guérir».
Spectaculaires
Est-ce pourtant bien sérieux ? N’est-on pas là face à une nouvelle technique fumeuse, noyée dans les modes new age ? En France, c’est le psychiatre David Servan-Schreiber qui l’a importée. «Cela se développe beaucoup, nous avons des formations unifiées pour ceux qui la pratiquent, raconte Isabelle Meignant, qui préside EMDR Europe. Mais nous restons en France : avec toujours des réticences du milieu institutionnel sur ces techniques comportementalistes». Ainsi, pendant les semaines qui ont suivi les attentats en France, la plupart des cellules médico-psychologiques qui ont accompagné des victimes ou leurs proches ne se sont pas servies de cette thérapie. «Nous avons pourtant été sollicités, mais nous l’avons été de façon informelle, note Isabelle Meignant. Nous avons pu prendre en charge une petite centaine de personnes. Et cela a bien marché, très bien même.»
A l’entendre, les résultats seraient même spectaculaires. Certaines victimes traumatisées avaient perdu le sommeil, et elles l’auraient retrouvé après une seule séance. D’autres personnes ont pu vivre des moments de panique dans le métro en voyant des paquets ou des valises, incapables alors de bouger, ni de réagir. «En quelques séances, on arrive à casser cette association.» Isabelle Meignant, qui exerce à Toulouse, était aussi intervenue peu après l’attentat de Mohamed Merah dans l’école juive. «On a pu faire du très bon travail, poursuit-elle. A l’étranger, le recours à l’EMDR est devenu presque systématique. Cela a été utilisé après le tsunami [qui a frappé les côtes de l’océan Indien en 2004, ndlr], mais aussi après l’attentat du musée du Bardo en Tunisie [en mars].»
Qu’en déduire ? Une mode passagère ou une thérapie qui peut être utile ? Aujourd’hui, les cliniciens disposent de plusieurs études et surtout d’un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui a cherché à évaluer l’hypnose et des techniques qui lui sont proches comme l’EMDR. Dans ce travail, Juliette Gueguen, médecin de santé publique, a analysé plus particulièrement l’EMDR. «Dans notre évaluation, nous explique-t-elle, nous avons travaillé sur les syndromes de stress post-traumatiques (SPST) déjà constitués.» En d’autres termes, les chercheurs ont regardé la prise en charge de symptômes qui se sont bâtis au fil des jours, voire de semaines, comme on le voit sur des militaires de retour de terrains de guerre. Pour des syndromes déjà constitués, l’Inserm a repris toutes les études scientifiques publiées. Le résultat est clairement positif : «L’EMDR est efficace dans la prise en charge du syndrome de stress post-traumatique chez l’adulte, mais les revues ne permettent pas de conclure, ni chez l’enfant ni chez l’adolescent.» En revanche, en préventif – pour les personnes amenées à intervenir dans des situations traumatisantes -, il n’y a aucune étude publiée.
Flash-backs
Reste évidemment une question. Si cela marche, pourquoi cela marche-t-il ? Les réponses sont incertaines. L’Inserm, dans un vocabulaire un brin technique, note que «la thérapie EMDR est basée sur le modèle du traitement adaptatif de l’information». Ce modèle – si on laisse de côté les symptômes causés par des lésions organiques ou toxiques – repose sur l’idée que les troubles en santé mentale «trouvent leurs origines dans les souvenirs non correctement traités d’événements survenus antérieurement». Dans le cas du syndrome de stress post-traumatique, on en connaît les manifestations : cauchemars, flash-backs incessants, pensées intrusives. «Certains événements du présent, qui réveillent ces souvenirs, constitueraient alors des facteurs déclencheurs de symptômes.» Dans cette logique, «l’EMDR permettrait d’accéder au souvenir bloqué, puis de stimuler le traitement adaptatif de l’information afin que les connexions et associations appropriées soient rétablies».
«C’est intéressant, précise le professeur Nicolas Dantchev, qui dirige le service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu à Paris, lieu qui a centralisé la prise en charge psy des victimes des attentats. Mais avec l’EMDR, il est difficile de faire la part entre ce qui relève de la psychothérapie comportementale assez classique et ce qui relève de la technique oculaire.» Aujourd’hui, en tout cas, Juliette Gueguen fait remarquer que «les techniques de l’EMDR suivent un protocole standardisé, plutôt bien défini, ce qui est rassurant». La Haute Autorité de santé le recommande désormais comme traitement de choix de l’état de stress post-traumatique, de même que l’Organisation mondiale de la santé.