Après les attentats, le pouvoir des petits gestes

Après les attentats, le pouvoir des petits gestes

Mis à jour le 5 octobre 2022

Un article Après les attentats, le pouvoir des petits gestes,de Géraldine Dormoy, publié sur le site de l’express.

Face à la tragédie des attaques terroristes, on peut se sentir dépassé par l’émotion. Résister, oui, mais comment, à son niveau individuel? Suggestions pour se sentir bien, ensemble.

« Lundi, j’ai reçu un SMS de ma meilleure amie qui me disait qu’elle m’aimait et qu’elle était contente que je sois toujours là. J’ai trouvé ça magique. Donc j’ai moi aussi envoyé des SMS », se remémore Gachoucha. « J’étais à Milan au lendemain des attentats. Des Italiens m’ont serrée dans leurs bras. Sans mots. Leur regard était tellement compatissant. Je me sentais impuissante, loin de Paris, mais cette force humaine était incroyablement réconfortante », raconte Isabelle. Après les attaques terroristes du vendredi 13 novembre, comme beaucoup, Gachoucha et Isabelle ont bénéficié du pouvoir des petits gestes. Des actions qui peuvent paraître dérisoires au regard de la tuerie, mais qui aident malgré tout à se sentir mieux, collectivement.
En dépit de la volonté de « résistance » exprimée dans les conversations ou sur les réseaux sociaux, on peut toutefois rester perplexe quant à sa propre façon d’agir. Que faire de ses émotions? Comment aider, que ce soit les professionnels qui travaillent à notre protection, les personnes endeuillées par les événements ou ses proches déprimés? Comment aller vers l’autre? Faut-il se plier aux rituels collectifs? Éléments de réponse.

Exprimer ses émotions en se faisant du bien

« L’important est de mettre du sens et des mots sur ce que l’on ressent, en fonction de son ressenti et de ses propres ressources, sans être dans le déni », explique Hélène Romano*, docteur en psychopathologie clinique-HDR et psychothérapeute. « Quand on a des émotions qui débordent, quand on a très peur, il est préférable de reconnaître l’existence de cette peur et d’en identifier l’aspect positif: si j’ai peur, c’est que mon corps est en alerte et que donc il se protège. » Idem avec les pleurs: « Pleurer, c’est montrer sa peine. Ça n’est pas être faible. Quelqu’un qui n’a plus d’émotions n’est plus un être humain. On n’a pas besoin de se précipiter chez le psy dès qu’on est inquiet. »
Une fois les émotions identifiées, on peut se demander comment « faire avec ». Qu’est-ce qui me rassure? « Vous avez des gens qui écrivent, d’autres qui vont réaménager leur maison, prendre soin d’eux, se cocooner, cocooner les autres. Après les attentats de janvier, certains ont repeint leur appartement, mis des plantes chez eux… » Rien ne mérite d’être jugé futile ou égoïste. Il est préférable de « s’autoriser à se faire du bien et prendre soin de soi. Beaucoup culpabilisent en se disant ‘je n’ai pas le droit d’être heureux parce qu’il y en a qui sont morts’, mais que vous soyez mal ou bien ne changera rien pour eux », souligne Hélène Romano.

Résilience collective

Progressivement, l’idée est d’arriver à « lister ce qui me fait du bien au quotidien et ce qui me fait du bien avec les autres -on parle alors de résilience collective. Ça peut être passer un coup de fil à mes proches, faire un câlin, envoyer un message, faire un petit cadeau, passer cinq minutes avec quelqu’un. Faire de toutes petites choses qui vont permettre de réapprendre à être bien ensemble et à se dire qu’on n’est pas seul. »
Ces marques d’affection ont toutes les chances d’être reçues positivement. Caroline loue ainsi « les coups de fil passés ‘pour rien’, comme ça, ‘parce que j’avais envie de t’entendre' », reçus ces derniers jours, ainsi que « ce sourire de cet homme dans le métro, dénué de toute séduction, qui semblait juste me dire ‘on vit ça ensemble, tous' ». « Sur le mode opératoire, chacun est différent, précise Hélène Romano. L’essentiel est d’être positivement actif. »

« Je ne savais pas comment vous aider alors je vous ai fait des gâteaux »

Pour beaucoup toutefois, agir pour soi ne suffit pas. Dans les circonstances actuelles, l’action ne peut s’envisager que collectivement, en vue d’aider l’autre. « Cette solidarité et cette mobilisation sont humainement précieuses », analyse Elodie Gastaldo, psychologue clinicienne, praticienne EMDR à EIDO, centre de Soins des Traumatismes et des Violences. Elles « redonnent espoir et confiance, et réhumanisent les liens afin de retrouver un réel sentiment d’appartenance au sein de notre société. »
Mus par cet élan de solidarité, les Français se sont ainsi précipités pour donner leur sang. Et pourquoi ne pas oser aller marquer son soutien envers les forces de l’ordre, les pompiers ou le personnel soignant, à l’oeuvre sans répit depuis les attentats? C’est ce qu’a par exemple fait une jeune fille, le 15 novembre à minuit passé, devant la grille de l’hôpital Necker.
« Je m’excuse de vous déranger, je ne savais pas comment vous aider alors je vous ai fait des gâteaux au chocolat pour vous réconforter tous », a-t-elle déclaré à Laïla Burger, infirmière au SMUR de Necker, qui raconte l’anecdote sur son compte Facebook. « Je suis gênée, sur le cul, cette gosse a une vingtaine d’années, je suis si touchée de son attention que les larmes me montent. Maladroite je lui dis qu’elle est adorable et que nous allons reprendre des forces grâce à elle. Délicatement elle me sourit puis tourne les talons et disparait rue de Vaugirard. L’Humanité existe encore. Merci douce fée. »
Sans même aller jusqu’à faire des gâteaux, un sourire à un policier croisé dans la rue, un café offert à un CRS ou quelques mots de remerciement à un médecin peuvent faire la différence. « C’est de la reconnaissance, estime Elsa Godart**, philosophe et psychanalyste. Ça ne coûte rien de dire à un flic: ‘Bravo, on est avec vous’ ou ‘Merci pour ce que vous faites’. Ça n’est pas parce qu’ils sont payés pour faire ce qu’ils font que l’on ne doit rien dire. Ce ne sont pas des machines. »
Face à une personne qui a perdu un proche ou qui est elle-même traumatisée, l’aide est également cruciale. « Ça peut parfois être de dire simplement ‘je suis là, s’il y a quoi que ce soit qu’on peut faire n’hésite pas’ ou ‘je ne sais pas quoi te dire sauf que j’ai une peine infinie’, suggère Hélène Romano. Et régulièrement montrer sa présence. Ne pas s’imposer. S’ajuster. Quand on est très très proche, ça peut être aller faire les courses, faire des démarches administratives. Il va y en avoir beaucoup pour les endeuillés. » Veiller toutefois à ne proposer son aide que si l’on est véritablement disponible.

Gentillesse, sourires et attentions

Triste ironie, les attentats ont eu lieu le jour national de la gentillesse, mais loin de l’anéantir, les événements du vendredi 13 novembre l’ont au contraire rendue plus présente. Dans son quartier, Maëlis a ainsi remarqué « les gens qui se sourient et le ‘ça va, vous ?’ de la boulangère qui sonne différemment de d’habitude. Les gens ont envie de se réchauffer les uns les autres, d’opposer toute leur humanité à la violence. »
Aux timides, Elsa Godart conseille d’embrayer après avoir dit bonjour sur le fait que l’on vit des moments difficiles. « Engagez la conversation, les gens n’attendent que ça! » Consciente que les Français, souvent, n’osent pas échanger avec des inconnus, elle insiste : « Oser dépasser sa peur de l’autre et son manque de confiance en soi peut s’avérer très libérateur. Tout à coup, on est au moins deux. On ne se sent plus isolé. »
Preuve de l’envie collective de plonger dans un monde plus doux, Danielle Mérian, l’avocate retraitée qui a invité à la télévision à fraterniser « avec les 5 millions de musulmans qui exercent leur religion librement », recevra bientôt des internautes, en remerciement de son appel, une cagnotte Leetchi de plus de 10 000 euros.

Se rassembler, se recueillir, allumer une bougie… ou pas

Malgré l’interdiction momentanée de manifester en raison de l’état d’urgence, beaucoup se sont réunis, sur les lieux des drames ou Place de la République notamment. « Les cérémonies collectives ont un sens très fort au niveau psychique, rappelle Hélène Romano. Elles permettent, à la suite d’un contexte qui a totalement désorganisé le collectif, de se réassurer sur une cohésion sociale minimum. On est ‘plus fort que’ et on a un langage commun. »
Au cours de ces rassemblements publics, de nombreuses personnes ont par ailleurs déposé des fleurs ou des bougies sur les lieux symboliques, afin de rendre hommage aux victimes. « Sans réfléchir, je suis allée acheter des roses blanches à côté de la maison, dans le 10e, raconte Elvira. Puis nous sommes partis en famille, avec la poussette, en direction du Bataclan. Je ne saurais dire pourquoi j’ai eu envie de le faire, sûrement pas pour voir les lieux, ni pour me mêler à la foule -qui était un peu angoissante avec ses camions télé et leurs paraboles- mais plutôt comme on allume un cierge dans une église. »
Fleurs, bougies, doudous, photos, dessins… « Chacun ritualise différemment, estime Hélène Romano. C’est une façon d’être acteur et de montrer qu’on pense aux morts et à leurs proches. Il ne devrait toutefois pas y avoir d’injonction à ritualiser, avertit-elle. Le rituel collectif peut aider certains, mais d’autres, compte tenu de ce qu’ils vivent dans leur vie à ce moment-là -perte d’un proche, arrivée d’un bébé, mariage…- ne seront pas touchés. Et on a le droit de ne pas se sentir concerné émotionnellement par ces cérémonies collectives.
Ces moments fédérateurs sont néanmoins utiles au plus grand nombre. Il est d’ailleurs important de préciser qu’ils ne se limitent pas aux rassemblements d’anonymes. Jean-Baptiste Colle, psychologue clinicien au centre EIDO, en témoigne: « Nous avons constaté dans les lieux où nous intervenons -écoles, entreprises, lieux de soins…- un besoin des uns et des autres de se retrouver ensemble, autour d’une commémoration, d’un café, de manière formelle mais aussi bien souvent informelle. Ces temps sont aussi importants pour les salariés, élèves, infirmiers, que pour les responsables, professeurs, chefs de service. Dans ce climat d’incertitude, nous avons besoin que nos responsables nous guident, nous redonnent une direction et nous portent vers un avenir partagé autour de mêmes valeurs. »
*Hélène Romano est l’auteure de L’enfant face au traumatismeet Accompagner le deuil en situation traumatique, aux éditions Dunod
**Elsa Godart est l’auteure de Le sentiment d’humanité, aux éditions Ovadia
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