Cette thérapie post-traumatique peut aider les rescapés des massacres de Daech

Cette thérapie post-traumatique peut aider les rescapés des massacres de Daech

Mis à jour le 5 octobre 2022

Article Cette thérapie post-traumatique peut aider les rescapés des massacres de Daech, de Charlotte Alfred, publié sur le site du huffingtonpost
INTERNATIONAL – Les massacres perpétrés par Daech ces dernières années dans le nord de l’Irak ont laissé dans leur sillage une population profondément traumatisée. Les besoins des rescapés sont tels que les organisations déploient des trésors d’inventivité pour y répondre.
“Je connais des septuagénaires qui ne dorment plus, des femmes qui ont peur lorsqu’un homme leur demande si ça va, et un enfant de moins de six ans qui m’a raconté comment ses parents avaient été tués”, explique Salah Ahmad, un psychologue kurde installé en Allemagne qui dirige la Jiyan Foundation for Human Rights.
M. Ahmad a fondé cette organisation en 2005 pour venir en aide aux victimes de la torture sous le régime de Saddam Hussein. Le groupe apporte aujourd’hui son aide, tant médicale que psychologique, sur tout le territoire kurde semi-autonome du nord de l’Irak. “Des millions de personnes souffrent de traumatismes dans notre pays et nous ne pouvons toutes les prendre en charge”, nous dit-il.
En collaboration avec la Free Yezidi Foundation, association à but non lucratif créée en août dernier pour informer l’opinion des massacres dont est victime la minorité yézidie en Irak et soutenir ses rescapés, la Jiyan Foundation cherche à mettre en œuvre une nouvelle forme de thérapie pour traiter le traumatisme dans une région dévastée par la brutalité de Daech.
Début novembre, un groupe d’experts internationaux s’est rendu à Souleimaniye, en Irak, pour former une équipe de trente psychothérapeutes de la Jiyan Foundation et d’autres organisations à but non lucratif. Ils leur ont expliqué les bases d’une thérapie relativement nouvelle du traumatisme, la “désensibilisation et reprogrammation par mouvement des yeux” (EMDR en anglais).
“Nous avons affaire à une population déjà fortement traumatisée, qui souffre d’un manque réel de soins. Si l’on y ajoute Daech et son génocide des yézidis, nous sommes confrontés à un nombre extrêmement élevé de personnes traumatisées, et nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour y faire face”, explique Derek Farrell, un psychologue britannique qui donne des conférences à l’université de Worcester au Royaume-Uni. C’est lui qui a piloté le premier stage de six jours à Souleimaniye.
En avril 2016, M. Farrell, qui est membre du conseil d’administration de la Free Yezidi Foundation, encadrera une seconde formation d’EMDR portant sur la gestion de situations plus complexes, après quoi il assurera le suivi des stagiaires par Skype.
L’EMDR, conçu par la psychologue américaine Francine Saphiro en 1987, consiste à soumettre les patients à une “stimulation bilatérale” pendant qu’ils évoquent leurs traumatismes. Les thérapeutes demandent habituellement à leurs patients de tourner les yeux d’un côté, puis de l’autre, offrent des stimulations auditives et visuelles, et donnent de petites tapes du côté gauche et droit du corps.
Les spécialistes estiment que cette méthode permet de déclencher la capacité du cerveau à gérer le traumatisme à travers une “désensibilisation” et un “retraitement” des émotions. En d’autres termes, il s’agit, en établissant de nouvelles connexions mentales, d’affaiblir le traumatisme du souvenir.
Pour ses adeptes, l’EMDR est particulièrement adaptée aux crises humanitaires telles que les catastrophes naturelles et les guerres, au cours desquelles des populations entières de réfugiés sont obligées de gérer leurs traumatismes. Ils soutiennent qu’en plus du fait d’être rapide et de n’engendrer aucun travail de longue haleine, à l’inverse d’une thérapie comportementale cognitive, elle peut être pratiquée en groupe sans que les participants doivent exposer leur expérience en détail.
“L’EMDR est très efficace dans la mesure où la durée des séances se compte en jours plutôt qu’en mois”, indique Rolf Carriere, économiste du développement et membre du conseil d’administration de la Free Yezidi Foundation. “C’est aussi un traitement mieux adapté, culturellement parlant”, ajoute-t-il, car les patients n’ont pas de besoin de raconter les expériences traumatisantes, mais aussi socialement stigmatisantes, qu’ils ont subies, comme la violence sexuelle.
Plus d’un an après l’invasion de régions entières d’Irak et de Syrie -occupées après le massacre de milliers de personnes, et l’asservissement de centaines de femmes et d’enfants yézidis-, l’Occident n’a pas encore pris la pleine mesure des atrocités commises par Daech. Pour l’organisation terroriste, les Yézidis, membres d’une ancienne communauté religieuse, « vouent un culte à Satan ».
À la suite de leur reconquête du bastion yézidi de Sinjar, le mois dernier, les Kurdes ont découvert six charniers contenant des centaines de corps. Les femmes qui ont été libérées parlent de viols et de torture, et on est encore sans nouvelles de centaines de personnes.
Alors qu’il y a aujourd’hui plus d’un million de réfugiés dans le Kurdistan irakien, les dernières statistiques de l’Organisation mondiale de la santé, en date de 2011, ne font état que d’un psychiatre pour 400 000 personnes sur la totalité du territoire irakien.
Ceux qui souhaitent entamer une thérapie sont aussi fortement stigmatisés, remarque M. Ahmad. Très peu de femmes exercent dans ce domaine, alors que les victimes de viol se tournent de préférence vers les femmes psychothérapeutes.
Après avoir vu l’EMDR à l’œuvre en Allemagne, M. Ahmad s’est dit qu’il pouvait aider les Irakiens. Mais elle suscite des réserves en raison de sa nouveauté relative, et de ses méthodes apparemment non conventionnelles.
“Il a fallu un moment avant que l’EMDR soit accepté, mais après un quart de siècle, il existe désormais suffisamment de preuves issues de plus de vingt essais cliniques », souligne Louise Maxfield, psychologue et rédactrice du Journal of EMDR Practice and Research. En 2013, l’OMS a reconnu que le traitement était efficace contre le traumatisme.
Elle a pourtant ses limites. “Il n’existe pas de thérapie universelle. […] Certaines personnes n’y sont pas réceptives », ajoute-t-elle. « D’autres traitements reposent sur un réveil du traumatisme, au cours duquel de fortes réactions sont à craindre, bien que la gestion de telles situations soit prévue dans les traitements en question.”
Bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer le succès de l’EMDR dans le Kurdistan irakien, l’espoir (prudent) est de mise pour Pari Ibrahim, fondateur de la Free Yezidi Foundation.
“La formation va mettre à la disposition de ces praticiens un nouvel outil leur permettant de prendre en charge non seulement les Yézidis, mais aussi tous ceux qui ont besoin d’aide. Le traumatisme, extrêmement profond, va nécessiter un traitement de longue durée. Pour être mené à bien, il demandera beaucoup de temps et d’argent pour planifier les actions et former les gens.”
Selon M. Farrell, il faudra probablement huit à dix ans pour que le nord de l’Irak soit capable de gérer ses traumatismes. « L’EMDR n’est pas une solution miracle », a-t-il prévenu.
Il a déjà contribué à l’introduction de cette thérapie EMDR au Pakistan, lors du séisme de 2005, à la suite duquel le maigre secteur de la santé mentale s’est retrouvé débordé. Aujourd’hui, les thérapeutes EMDR pakistanais sont pratiquement autonomes et viennent en aide aux pays voisins comme le Népal et la Birmanie.
Pour M. Ahmad, au vu des bénéfices que pourront en retirer les rescapés des violences de Daech, et la région dans son ensemble, l’investissement en vaut la peine. “Si l’on aide un individu à retrouver la paix, sa famille en bénéficiera. Et si les familles sont en paix, il en va de même pour la société, et donc pour le pays”, conclut-il.

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