Covid 19 : le blurring des étudiants

Mis à jour le 28 septembre 2022

En cette période de semi-confinement, les étudiants du supérieur sont particulièrement exposés au risque de blurring, la souffrance induite par l’estompement de la limite entre vie scolaire et vie privée. Cet estompement est-il toujours synonyme de souffrance ? En quoi est-ce différent depuis la crise sanitaire ? Quels sont les signes d’alerte ? Que peut-on donner comme conseils ?
Evelyne Josse tente de répondre à ces questions dans cet article.


Qu’entend-on par blurring ?

Ces dernières décennies, le monde professionnel a vu émerger les concepts de flame-out, bore-out, brown-out et blurring.
Le mot « blurring » est issu du verbe anglais « to blur » signifiant « brouiller, estomper, troubler, flouter ». Bien que le terme soit anglophone, le concept semble avoir été utilisé pour la première fois en France dans une enquête IPSOS publiée en 2013.
Le blur-out ou blurring désigne la souffrance induite par l’estompement de la limite entre vie professionnelle et vie privée, principalement liée à l’avènement des technologies numériques, mais également au développement du travail indépendant et à distance. Durant son temps de travail, le professionnel répond à des exigences d’ordre privé (achats en ligne, prise de rendez-vous médicaux, lecture des informations médiatiques, e-mails privés, réseaux sociaux, etc.) et durant son temps libre, il s’acquitte de tâches professionnelles (e-mails professionnels, préparation de dossier ou d’exposé, etc.). De même, lorsqu’ils assistent au cours ou qu’ils étudient, les étudiants consultent leur téléphone portable, envoient et répondent à des SMS privés, publient et commentent des posts sur les réseaux sociaux, etc. et lorsqu’ils sont attablés en famille, qu’ils regardent un film confortablement installés dans leur canapé ou qu’ils se baladent, ils répondent aux appels de leurs camarades concernant les études ou lisent les messages envoyés par leur école ou leur université.

Quels sont les facteurs favorisant cette perméabilité entre vie privée et vie étudiante ?

Les outils de communication tels que smartphones, tablettes et ordinateurs portables favorisent indéniablement cette perméabilité. Certains traits de personnalité peuvent également contribuer au phénomène. Les jeunes qui éprouvent des difficultés à poser leurs limites sont particulièrement vulnérables à l’enchevêtrement des sphères privée et scolaire. Ceux qui ont besoin d’être appréciés, reconnus et respectés, ceux qui manquent de confiance en eux et qui craignent de mal faire ou d’être pris en défaut sont également plus à risque parce qu’ils sont plus susceptibles de développer une dépendance psychologique à la connexion digitale. Cette hyper-connexion s’explique par la peur de rater une information importante. C’est ce que l’on nomme le syndrome FOMO (FOMO pour « Fear Of Missing Out »). Cette hyper-connexion se comprend également par le « renforcement à intervalle variable » (Stafford T., Webb M., 2004). Lorsqu’un étudiant vérifie ses messages, il n’y trouve généralement aucune information intéressante, mais de temps à autre, il obtient une gratification (information directement utile et nécessaire, détente, compliment, etc.). Difficile dès lors de résister à la tentation de vérifier sa messagerie, même si on l’a consultée quelques minutes plus tôt. Ce type de renforcement est l’un des plus efficaces pour ancrer une habitude. La connexion permanente aux outils digitaux offre un terrain propice à l’entremêlement des vies scolaire et privée.

La porosité des frontières entre vie privée et vie professionnelle engendre-t-elle systématiquement une souffrance ?

Certainement pas. Avant la crise sanitaire, la majorité des étudiants ne se plaignaient pas de blurring pas plus que les indépendants qui exercent leur métier à domicile comme, par exemple, les couturières, les artistes-peintres ou les fermiers. Depuis l’école primaire, les jeunes sont habitués à cette perméabilité entre les mondes privé et scolaire. Ils font leurs devoirs dans le salon ou dans leur chambre et ils étudient durant les week-ends et les vacances. Leur téléphone portable et leur ordinateur sert tout autant à leurs travaux scolaires qu’à regarder des séries sur Netflix ou à chatter avec leurs amis. À mon sens, on ne devrait parler de blurring que lorsque les intrusions mutuelles des territoires privé et scolaire engendrent de la souffrance.

Qu’est-ce qui est différent depuis la crise sanitaire ?

Certes, avant la crise sanitaire, la frontière était déjà poreuse entre espace scolaire et privé mais le mouvement s’est accéléré depuis la fermeture des centres de loisirs et des établissements d’enseignement supérieur. L’éclatement des frontières entre les territoires identitaires est sans précédent. Si les étudiants ont toujours mélangé vie personnelle et vie privée, ils conservaient toutefois un équilibre satisfaisant. Ils passaient de nombreuses heures en cours dans les auditoires et les salles de séminaires, lieux dédiés aux études. Ils se rendaient au cinéma, au restaurant, dans les salles de sport, dans les soirées dansantes, dans les festivals de musique, etc., lieux réservés aux loisirs. Dans le contexte épidémique actuel, il n’y a plus de distinction entre territoire privé et scolaire, ce qui ébranle l’équilibre. « Je ressens un déséquilibre entre les moments de détente et les moments de travail. » confirme une étudiante. Les étudiants assistent au cours depuis leur lieu de vie. Il n’y a plus aucune organisation des sphères privées et scolaires basées sur le lieu : l’université d’un côté, la maison ou l’appartement de l’autre. « Mon salon étant devenu mon lieu de loisir ainsi que mon lieu de travail, j’ai comme l’impression de ne pas réussir à débrancher une fois les cours terminés. Il n’y a pas plus ce moment où le trajet du retour permettait de créer un sas de décompression avant de rentrer chez soi. » nous dit une jeune femme.
Les étudiants éprouvent beaucoup de mal à compenser cette désorganisation des lieux par une organisation de ces territoires sur une base temporelle : un temps de travail et un temps privé. En effet, la difficulté à se concentrer sur les cours en ligne, l’ennui et la frustration qui en résultent, contribue à la tentation de se distraire sur les réseaux sociaux. De plus, ce sont les mêmes outils connectés qui permettent d’apprendre et de se détendre (être en contact avec ses amis, regarder des films ou des séries, faire du sport, suivre un cours de méditation, etc.). « Je tente de m’apaiser avec des exercices de méditation et surtout avec du sport qui permet de me dépenser un peu, avec des vidéos sur YouTube, derrière l’écran de mon ordi ici aussi…  » témoigne une étudiante. « Moi, et l’ensemble dans ma promotion, nous faisons les cours à distance depuis le mois de septembre, néanmoins nous avons réussi à travers les réseaux sociaux, à créer un lien social entre nous. Nous nous parlons régulièrement. De plus, nous essayons de nous voir autant que possible, en dehors des heures de cours, car, en effet, certain(e)s de mes collègues venant de loin, se retrouvent dans des appartements exigus, sans voir personne à longueur de journée. Malheureusement, l’effet négatif d’être constamment en contact via les réseaux sociaux est que l’on reçoit des messages à tout heure de la journée et du week-end et qu’il n’y a plus de coupure entre le travail et la vie personnelle. » ajoute une autre. Les circonstances actuelles sont propices à l’émergence du syndrome FOMO : « J’ai l’impression d’être constamment accrochée à mon téléphone de peur de louper une information importante, sachant que l’organisation de l’Université ne cesse de changer. » explique une étudiante.

Quelles sont les conséquences du blurring ?

Les principales conséquences du blurring sont :
• La pression psychologique, la tension nerveuse, le stress chronique entraînant inquiétudes excessives, irritabilité, susceptibilité, hyper-émotivité, sentiment de culpabilité et d’impuissance, perte de l’estime de soi, renoncement, difficulté à se projeter dans l’avenir, etc.
• La surcharge mentale (fait de penser constamment aux études et de planifier la gestion et l’organisation des tâches scolaires, difficulté à concilier vie scolaire et vie privée, etc.). L’étudiant se sent submergé et n’est plus en mesure de faire face à ses responsabilités. Il a l’impression de ne jamais décrocher des études, de ne jamais pouvoir se vider la tête. « J’ai bien l’impression qu’un seul petit obstacle suffit à me faire abandonner et à me répéter sans cesse, que je ne serais jamais une bonne élève ni une bonne chercheuse ou encore moins une bonne psychologue. Durant le premier semestre de ma L2, j’ai tout le temps eu un sentiment que ma tête était beaucoup trop chargée, très lourde, ce qui a résulté, de fortes idées noires et une tentative de suicide par médicaments. » confie une étudiante.
• La fatigue mentale, également nommée fatigue nerveuse, se manifestant par un épuisement physique et psychique résistant au repos, un sommeil non-réparateur et de la somnolence diurne. La fatigue mentale impacte la condition physique. Des douleurs peuvent apparaître : céphalées, dorsalgies, troubles digestifs, etc.
• La baisse des facultés intellectuelles, des performances et de la qualité du travail scolaire. Cet affaiblissement s’explique par l’incapacité du cerveau à traiter la surcharge d’information résultant de la gestion simultanée de multiples données issues de sphères hétérogènes, privée et scolaire. Cette surcharge d’information altère les capacités de concentration, de raisonnement et d’attention, entraîne une instabilité des processus mémoriels (le volume d’information est trop important pour pouvoir être mémorisé) et dégrade les processus décisionnels (la surcharge informationnelle altère la capacité à discriminer les informations utiles des données futiles). Vu le nombre d’e-mails et de notifications émanant des réseaux sociaux reçus quotidiennement, il est impossible à l’étudiant de rester longuement concentré sur ses tâches scolaires. Selon une étude de Thomas Jackson de la British University à Loughborough, le temps mis pour répondre à un message annoncé par un signal sonore est en moyenne d’1 minute et 44 secondes et dans 70% des cas, les signaux d’alerte provoquent une réaction dans les 6 secondes. Le chercheur a également montré que 64 secondes sont nécessaires pour retrouver une qualité de concentration identique à celle d’avant l’interruption . Si l’on multiplie ce temps par le nombre de messages reçu chaque jour, cela représente plusieurs heures par semaine. Même si l’étudiant ne se précipite pas pour consulter sa messagerie, il a été interrompu dans son travail et une partie de son esprit reste happé par l’e-mail ou la notification en attente pendant plus d’une minute. Pris dans le piège du multitâche numérique, il éprouve la sensation que son cerveau n’est plus en mesure de fonctionner.

Quelques conseils

• Dans la mesure du possible, il faut éviter le mélange des territoires identitaires en termes de temps et d’espace. Idéalement, un temps devrait être réservé au cours et à l’étude, un autre à la vie privée. En principe, un espace devrait être dédié aux tâches scolaires, un autre à la détente. Malheureusement, en pratique, il est compliqué de respecter ce conseil, surtout si l’étudiant vit seul dans un appartement exigu et s’il cohabite en famille dans un espace réduit. Toutefois, il est généralement possible de travailler assis à une table plutôt que vautré dans le canapé ou couché dans son lit.
• Pendant les cours et l’étude, les distractions devraient être évitées. Par exemple, il est conseillé de n’ouvrir que les onglets nécessaires sur l’ordinateur, de fermer la boîte mail, de couper les notifications sonores des applications des réseaux sociaux et de garder une distance physique de plusieurs mètres avec son téléphone portable. Si l’étudiant partage son espace avec d’autres personnes, il peut les prévenir qu’il est occupé.
• Garder un carnet à portée de main pour se débarrasser les pensées parasites émanant, par exemple, du secteur privé de sa vie, en les couchant sur papier (par exemple, « Je ne dois pas oublier d’acheter du lait. ») s’avère également utile.
• Pour terminer, on ne peut que conseiller d’éviter d’être un facteur de blurring pour ses camarades de promo en les sollicitant sur des questions scolaires à des heures tardives ou pendant les week-ends.
Lire l’article Covid 19 : le blurring des étudiants complet sur le site d’Evelyne Josse

En savoir plus

M’inscrire Vous avez une question ?