Deuil et trauma en situation de COVID19 contenir la post-crise

Deuil et trauma en situation de COVID19: contenir la post-crise

Mis à jour le 22 août 2023

Deuil et trauma en situation de COVID19 : contenir la post-crise, un article d’Erik de Soir.

Erik de Soir est docteur en psychologie et docteur en sciences sociales et militaires. Il travaille comme psychotraumatologue au sein de De Weg Wijzer – Centre d’Expertise pour le Trauma et le Deuil.

Depuis le début de la crise COVID19, les différents aspects du travail du deuil ont reçu une nouvelle attention. Dans de nombreuses situations, des personnes étaient mourantes dans un contexte de solitude et d’abandon forcé. Dans ce qui suit, une brève exploration du deuil en contexte traumatique mènera à une meilleure compréhension des conséquences pénibles de la situation pandémique que nous vivons actuellement.

Le mot deuil correspond, de façon étymologique, à la souffrance de l’âme et celle du corps (“dolore”) sans référence spécifique à la mort. Pourtant, les définitions actuelles du deuil, renvoyent à la mort d’un être cher, à l’état psychologique et émotionnel dans lequel se trouve une personne qui a perdu un être cher, au processus psychologique (“faire son deuil”) qui correspond au travail psychique nécessaire pour parvenir à supporter la réalité de la perte et aux rituels sociaux et culturelles qui suivent la mort du disparu et sont liés à l’expression “porter le deuil” (symbolisé dans un code vestimentaire, le cortège funèbre, les obsèques, etc.).

En français, le même terme est utilisé pour parler de la souffrance, des manifestations du chagrin et pour désigner les manifestations sociales qui entourent la mort tandis que, par exemple, l’anglais fournit toute une série de mots indiquant les divers aspects du deuil. Ainsi, les Anglo-Saxons parlent de “grief” pour décrire les émotions telles que le chagrin, la peine et la douleur liée à la mort. Le terme “bereavement” est employé pour parler de la perte elle-même, du fait d’être en deuil. Un autre terme encore, “mourning” est utilisé pour décrire le fait de porter le deuil en référence aux critères culturels, aux rituels et aux traditions vestimentaires des personnes endeuillées.

Un processus 

Le deuil n’est pas un état figé, mais un processus inauguré par la crise que représente la perte, parfois brutale, d’un être proche. Les anciennes théories du deuil étaient marquées par différentes étapes et par des manifestations diverses qui devaient permettre à la personne endeuillée de faire face au bouleversement de cette perte.

Il a fallu attendre le modèle d’ajustement en double processus (cf. dual process model of coping with bereavement) de Stroebe et Schut (1999) pour surmonter la façon linéaire et normative d’un processus de deuil. Ce modèle d’ajustement estime que les personnes endeuillées oscillent entre deux types de coping pour faire face au décès d’un proche ; une partie du comportement de la personne endeuillée est orientée vers la perte et l’autre partie vers la restauration de l’équilibre de vie. Ces deux parties devraient être en équilibre, pour éviter que la personne endeuillée ne “tourne en rond, au sens figural, et reste bloquée dans une partie de son deuil. Si le deuil est souffrance, c’est moins par la réalité de la perte que par la représentation de cet événement et le sens de cette perte dans la vie du sujet. Le trauma est par définition une expérience d’effroi qui provoque une rupture entre expérience et langage. La fin de la vie peut contenir des aspects traumatiques, difficilement verbalisables quand elle renvoie à l’irreprésentable et à l’horreur. C’est exactement là qu’intervient le contexte actuel, la crise COVID19, qui a donné lieu à des situations de séparation traumatiques. La mort collective de nombreuses personnes malades dans un environnement stérile et avec un accompagnement, dans les meilleurs cas, à distance suite au débordement provoqué par la crise pandémique dans les services de soins intensifs des hôpitaux et les maisons de repos. Des familles endeuillées qui ont souvent appris la mort d’un être cher tardivement. Sans pouvoir se rendre surplace, aux côtés du défunt. Sans pouvoir se rendre compte de la situation et l’ambiance dans laquelle la séparation s’est produite. Un corps qui est tout de suite emballé dans un sac en plastique et emmené à la morgue, sans déconnexion de matériel médical. Une situation de séparation brutale, modifiant dans le sens du mot “bereavement” – le fait de subir une perte importante, en une situation de ‘unfinished bereavement’: une perte inachevée… inimaginable. Après tout, les familles ne peuvent souvent pas imaginer elles-mêmes la mort d’un être cher si elles n’en ont pas été témoins et n’ont pas été en mesure de dire adieu au corps du défunt.

Deuil post-traumatique

C’est ce contexte spécifique qui peut donner lieu à un deuil post-traumatique, le deuil survenant suite à un événement ou une situation traumatique. Alimentée par les nombreux reportages et images de  mourants, dans un contexte de manque flagrant d’informations, l’imagination des familles crée une atmosphère apocalyptique dans laquelle l’être cher est décédé.

Dans la situation du deuil post-traumatique intervient la notion de double traumatisme d’avoir ou de devoir échapper personnellement à la mort – c.à.d. ne pas mourir de COVID19 – et d’avoir des proches morts ou d’avoir assisté à la mort collective (et souvent inhumaine) d’inconnus. L’endeuillé a réchappé ou réchappe à une menace mortelle, qui est omniprésente, soit seul, soit collectivement. Il est non seulement endeuillé mais aussi blessé psychiquement par le contexte de menace permanente associé à la survictimisation de ne pas avoir pu dire adieu de façon approprié.

Impact pour les intervenants  

Pour les intervenants médicaux, la lutte contre la fixation traumatique des multiples décès est continue ; ils n’ont pas le temps de s’occuper des derniers moments de vie des mourants dans les départements COVID. Le débordement est quasi permanent, le nombre d’assistants médicaux, d’infirmières et de médecins insuffisants, donc il n’y a pas d’autre solution que d’offrir le meilleur encadrement possible dans ce contexte. Parfois, un bref contact digital avec la famille est encore possible, mais dans beaucoup d’autres cas, le malade sera seul durant ses derniers moments.

Pour les intervenants, cette lutte permanente donnera lieu à des reviviscences. Elles peuvent être visuelles lorsqu’il y a eu des images particulières, auditives pour ceux qui se trouvent impactés par le discours (les derniers mots) des malades ou olfactives lorsque le décès s’est produit dans un contexte particulier. Les images torturantes de mort collective, dans un contexte de catastrophe ou de guerre, s’imposeront d’elles-mêmes aux intervenants sans qu’ils puissent s’en protéger. Leur propre deuil vicariant c.à.d. le deuil qu’il ressentent par identification avec les mourants et leurs familles, pourra majorer les troubles émotionnels, puisqu’à l’effroi et face à l’impensable de cette crise, s’ajoutent les ressentis liés à la mort de l’autre : culpabilité, honte, désespoir, dévalorisation et blessure morale.

Un processus de deuil inhibé  

Le travail du deuil de tout un pays, pourra donc se trouver perturbé par ces pertes accumulées. La nécessité d’une aide adéquate, de deuil collectif avec des rituels collectifs, se fera bientôt sentir quand la période de fin d’année marquera le début des « fêtes de fin d’année ». Les perturbations pourront notamment porter sur la temporalité du travail du deuil. Le deuil des multiples pertes liées à la crise COVID prendra probablement la forme d’un deuil différé dans lequel beaucoup de familles ne présenteront probablement aucune ou très peu de manifestations de tristesse et continueront de vivre « comme si de rien n’était ». Cette attitude peut, à tort, être comprise comme une absence d’investissement affectif vis-à-vis du défunt. En fait, il s’agit le plus souvent d’une réaction défensive face à cette réalité insupportable, qui prend la forme d’un déni de cette mort. L’absence de corps et le manque de participation collective lors de cérémonies d’adieu et rituels d’adieu, typiques à certains moments de pointe de la crise COVID19, risquent d’augmenter ces réactions de déni.

Le processus de deuil de nombreuses personnes endeuillées pourra donc se trouver inhibé en particulier dans les cas de décès au terme d’un long combat contre la COVID19 comme maladie éprouvante. Ce deuil pourrait donc devenir chronique avec l’impossibilité pour les proches d’avancer dans leur travail de deuil avant d’avoir des réponses à de nombreuses questions concernant les circonstances dans lesquelles leur être cher a trouvé la mort. Ce processus restera donc pour longtemps marqué par des pensées intrusives, des débordements émotionnels importants, des sentiments de solitudes et de vide excessif, un évitement disproportionné des activités rappelant le souvenir du disparu et une asthénie générale en particulier pour les activités personnelles. L’attention à porter aux endeuillés de la crise COVID19 est particulièrement importante car tout indique une situation post-crise marquée par une multitude de problèmes psychosociaux et de complications de deuils. Sans développer un ensemble de mesures, sur base d’une évaluation scientifique qui devrait permettre aussi de mesurer les effets des activités de soutien et l’efficacité des méthodes de soutien psychologique, la crise COVID19 risque de laisser de traces indélébiles sur la société entière qui n’était pas prête à affronter une telle pandémie.

Les facteurs de risque de complications du deuil sont multiples : la survenue brutale de la crise COVID, le nombre et le contexte des décès, le débordement dans les structures de soins, l’impossibilité de dire Adieu au défunt, l’absence de dialogue entre les familles et les soignants, le silence et les non-dits autour du décès, etc.

Contenir les effets survictimisants des décès et du trauma liés à la crise COVID nécessitera ainsi un travail de spécialistes avec l’appui du politique et un encadrement scientifique.

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