
EMDR – Adolescents – TSPTC : Efficacité de l’emdr chez les adolescents souffrant d’un TSPT complexe secondaire à des abus dans l’enfance
Mis à jour le 25 avril 2025
Une série de cas de Rolling, Julie, Morgane Fath, Thomas Zanfonato, Amaury Durpoix, Amaury C. Mengin, and Carmen M. Schröder, publié dans Healthcare
Article publié en anglais – accès libre en ligne
Résumé
Contexte
Les soins de santé mentale pour les enfants et les adolescents ayant subi des abus pendant leur enfance constituent un problème majeur de santé publique. En effet, la maltraitance expose les enfants à des troubles de stress post-traumatique sévères et complexes (TSPTC) mais aussi à des répercussions neurodéveloppementales et psychologiques impactant la trajectoire développementale. Une prise en charge centrée sur le traumatisme est essentielle pour éviter la chronicisation des symptômes et des troubles.
Objectif
Le but de cette étude prospective de séries de cas était d’étudier l’efficacité de la désensibilisation et du retraitement par les mouvements oculaires (EMDR) sur les symptômes post-traumatiques complexes et les troubles psychiatriques associés chez des adolescents ayant des antécédents d’abus.
Méthode : Vingt-deux adolescents, âgés de 12 à 17 ans, ayant subi des abus durant leur enfance ont été inclus. Tous les adolescents répondaient aux critères de la CIM-11 pour le TSPT complexe. Des mesures subjectives du TSPT et des troubles psychiatriques associés ont été prises avant (T0) et après 3 mois de thérapie EMDR (T1).
Résultats
Le score moyen des symptômes du TSPTC sur le CPTS-RI a significativement diminué de 40,2 à 34,4 après l’EMDR, indiquant une amélioration des symptômes post-traumatiques. Une diminution significative du score moyen de dépression (CDI de 18,2 à T0 à 10,6 à T1), du score d’anxiété (R-CMAS de 21,3 à T0 à 13,3 à T1), du score de régulation émotionnelle (ALS de 29 à T0 à 10,8 à T1), du score d’insomnie (ISI de 18. 5 à T0 à T1 de 9,2 à T1), et le score de consommation nocive d’alcool et de drogues (ADOSPA de 2,3 à T0 à 0,3 à T1) a été observé après la thérapie EMDR, ainsi qu’une augmentation de la qualité de vie (score CBCL 4-16 de 57,9 à T0 à 77,4 à T1).
Conclusions
Les résultats de cette étude sont encourageants et suggèrent que l’EMDR peut être efficace dans la gestion des symptômes en réduisant les symptômes post-traumatiques et certains troubles comorbides fréquemment observés chez les adolescents ayant subi des abus dans leur enfance. D’autres recherches sont nécessaires sur les populations d’adolescents souffrant de TSPTC (par exemple, des essais contrôlés randomisés avec des groupes de contrôle et d’autres thérapies ou l’évaluation de l’action des différentes phases de l’étude).
Introduction
La maltraitance des enfants
En Europe et dans le monde, la maltraitance des enfants pendant l’enfance est un phénomène qui est loin d’être maîtrisé. A ce jour, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime la prévalence de la maltraitance en Europe à 29,1% pour les violences psychologiques, 23% pour les violences physiques et 9,6% pour les violences sexuelles (Organisation Mondiale de la Santé, 2022). Les recherches épidémiologiques sur la maltraitance et les événements de vie négatifs complètent les travaux historiques de Felitti et montrent qu’aux Etats-Unis, 66% d’un échantillon de 4053 jeunes (âgés de 2 à 17 ans) déclarent avoir été exposés à plus d’une forme de victimisation au cours de leur vie, et 22% d’un échantillon national représentatif de 2030 enfants (âgés de 2 à 17 ans) déclarent avoir subi au moins quatre formes différentes de victimisation au cours de l’année écoulée. Concernant la forme de maltraitance, 15,2 % d’une population de 4 000 enfants (âgés de 0 à 17 ans) déclarent avoir été victimes de maltraitance de la part de la personne qui s’occupait d’eux, dont 5,8 % auraient été témoins de violences domestiques entre parents, 5 % auraient subi des violences physiques et 2 % des filles auraient subi des abus sexuels (Enquête nationale sur l’exposition des enfants à la violence). En France, interrogés sur leur propre enfance, 22% d’un échantillon français (Harris Survey, 2017 ; échantillon de 1030 Français) ont rapporté des événements comparables à de la maltraitance avec 16% de ces victimes auto-déclarées témoignant d’abus de nature sexuelle (principalement des attouchements sur des jeunes filles), 8% de violences psychologiques (menaces, insultes, humiliations), 5% de violences régulières (coups), et 3% de négligences répétées.
Abus et TSPT complexe
Les effets d’une maltraitance souvent de longue durée chez les jeunes sont divers. Les publications scientifiques mettent en évidence des conséquences dans différents domaines de fonctionnement, notamment des troubles de la dépendance et de l’attachement, des difficultés émotionnelles, des problèmes d’internalisation et d’externalisation tels que l’agressivité et les tendances antisociales, ainsi qu’une mauvaise adaptation scolaire. Les conséquences fonctionnelles résultant spécifiquement du traumatisme sont souvent considérées comme relevant du diagnostic du troublede stress post-traumatique (TSPTC) ou, plus récemment, du trouble de stress post-traumatique complexe (TSPTC). Le TSPTC se caractérise par un TSPT associé à des perturbations sévères et persistantes de l’organisation du soi (POS) avec (i) des difficultés de régulation émotionnelle, (ii) des altérations de la perception de soi et (iii) des difficultés relationnelles. Cette symptomatologie diffuse et multiforme est classiquement définie comme secondaire à une exposition traumatique interpersonnelle répétée, dont il est difficile de s’extraire, notamment à la suite d’abus dans l’enfance. Le TSPT et le TSPTC ne sont pas les seules conséquences psychologiques possibles de la maltraitance, et les répercussions fonctionnelles de la maltraitance peuvent également se traduire par d’autres troubles mentaux (dépression, troubles anxieux) ou des manifestations comportementales (troubles du comportement, troubles du comportement social, tentatives de suicide, consommation de substances psychoactives).
À ce jour, la littérature émergente sur les TSPTC estime leur prévalence entre 2,4 % (pour les enfants âgés de 8 à 17 ans exposés à un seul événement traumatique) et 3,4 % (pour les jeunes âgés de 11 à 19 ans exposés à au moins un événement traumatique, contre 1,5 % de TSPT dans la même population). Globalement, les jeunes atteints de TSPT qui ont bénéficié d’une prise en charge sociale par le système de protection de l’enfance suite à une maltraitance présentent plus de troubles de santé mentale, plus de risques de développer des symptômes post-traumatiques plus sévères et chroniques ainsi que des niveaux plus élevés de comportements à risque ou de dysfonctionnements sociaux que les enfants ayant subi des traumatismes uniques provoquant un TSPT (un taux de 15,9 % de TSPT a été observé dans une population de pédopsychiatrie 1 an après l’exposition à un événement unique).
Au final, les jeunes atteints de TSPTC meurent prématurément avec une espérance de vie inférieure de 25 ans, ce qui explique que la prise en charge des enfants et des adolescents atteints de TSPTC soit largement reconnue comme un enjeu majeur de santé publique. Pour ces jeunes, une prise en charge précoce ciblant le psychotraumatisme vise à éviter la pérennisation des troubles ainsi que les effets négatifs sur le neurodéveloppement et la construction de la personnalité, car sans thérapie ciblée sur le psychotraumatisme, les symptômes peuvent persister pendant plusieurs années. Des thérapies efficaces et bien tolérées existent pour cette tranche d’âge, mais elles doivent encore être validées, notamment dans le cadre du cPTSD chez l’enfant et l’adolescent.
Thérapies validées pour le traitement des psychotraumatismes
Les approches thérapeutiques du TSPTC initient un processus intense et complexe visant à améliorer les trajectoires de vie ponctuées de ruptures, de comportements autodestructeurs (par exemple, tentatives de suicide, comportements à risque, mise en danger, addictions) et de revictimisation. Les besoins thérapeutiques de ces adolescents sont importants et évolutifs, impliquant des soins multimodaux avec une gamme d’interventions variées ciblant tous les domaines de fonctionnement et une intensification flexible des soins lorsque ces jeunes sont confrontés à des défis tout au long de l’adolescence ou lorsqu’ils sont soumis à des facteurs de stress supplémentaires.
Au niveau international, les lignes directrices australiennes et NICE recommandent la thérapie EMDR dans le traitement du TSPT, tandis que l’APA suggère l’utilisation de l’EMDR. Ainsi, même s’il existe une forte tendance en faveur de l’utilisation de l’EMDR, ces recommandations diffèrent et concernent principalement les adultes et le traitement du TSPT. En effet, le TSPTC est un diagnostic relativement nouveau, pour lequel il existe actuellement peu de recommandations spécifiques concernant sa prise en charge. Ainsi, les recommandations pour le traitement du TSPTC de l’International Society for Traumatic Stress Studies (ISTSS) préconisent une approche séquentielle et multimodale avec une première phase de stabilisation des symptômes des troubles de l’auto-organisation appelée Skills Training in Affective and Interpersonal Regulation for Adolescents (STAIR-A) et une seconde phase portant spécifiquement sur le traumatisme. Pour la deuxième phase, l’ISTSS préconise l’adaptation aux traumatismes complexes des thérapies spécifiquement validées pour le TSPT (comme la TCC et l’EMDR), malgré un effet limité sur l’organisation des autosymptômes. Ces recommandations sont motivées par le fait que ces thérapies contiennent des éléments traitant à la fois les symptômes du TSPT et les troubles comorbides (dépression, anxiété et troubles liés à l’utilisation de substances) fréquemment associés au TSPTC. À ce jour, l’ISTSS met principalement l’accent sur la TCC axée sur le traumatisme (Tf-CBT) dans les populations de pédopsychiatrie et moins sur l’EMDR, tandis que les lignes directrices australiennes avancent prudemment l’utilité présumée des interventions psychologiques axées sur le traumatisme. En l’état actuel, l’imprécision des recommandations pour les enfants et les adolescents confirme la nécessité d’améliorer les connaissances sur l’efficacité de l’EMDR chez les jeunes souffrant de traumatismes complexes.
L’EMDR chez les enfants et les adolescents
L’EMDR combine différentes techniques psychothérapeutiques bien établies, telles que l’exposition imaginée, l’autorégulation, le développement des ressources et le changement cognitif. Il s’agit d’une méthode psychothérapeutique basée sur le modèle du « traitement adaptatif de l’information » (TAI). Ce modèle postule que les informations liées à l’événement traumatique seraient restées stockées de manière dysfonctionnelle dans la mémoire traumatique, expliquant leur caractère intrusif et émotionnellement pénible. L’originalité de cette thérapie est l’utilisation de la stimulation bilatérale alternée (SBA) pour retraiter les contenus dysfonctionnels post-traumatiques.
Le protocole standard de la thérapie EMDR comprend huit phases avec (1) une phase de recueil de l’histoire du patient (établissement de l’alliance thérapeutique et vérification de l’indication de la thérapie EMDR), (2) une phase de préparation (apprentissage des techniques de stabilisation émotionnelle et d’autorégulation et d’ancrage corporel), (3) la sélection de l’image à traiter (image cible) et la recherche des cognitions négatives (CN) associées à cette image ainsi que des cognitions positives (CP) que l’on souhaite obtenir, (4) une phase de désensibilisation avec la réalisation de stimulations bilatérales alternées (SBA) qui permet de retraiter le traumatisme, (5) l’intégration de croyances positives pour renforcer l’estime de soi, (6) un scanner corporel, et enfin, la (7) clôture et (8) réévaluation de l’efficacité du retraitement. Selon les praticiens, l’EMDR est actuellement considéré soit comme le traitement principal du trouble de stress post-traumatique, soit comme un traitement complémentaire inclus dans une prise en charge séquentielle et multimodale du traitement du syndrome de stress post-traumatique. Dans notre étude, nous considérons les phases 1 et 2 comme des phases de préparation pour lesquelles nous avons renforcé les exercices de stabilisation (quatre séances), et les phases 3 à 8 comme des phases de traitement EMDR (six séances) (voir la procédure d’intervention).
Au cours des vingt dernières années, plusieurs revues systématiques et méta-analyses ont mis en évidence l’efficacité de l’EMDR pour le traitement du TSPT chez l’enfant et l’adolescent. Néanmoins, si les études évaluant l’efficacité de l’EMDR sur des populations pédiatriques ayant subi une exposition traumatique unique fournissent des preuves solides de son efficacité sur le TSPT et ses comorbidités, peu d’études ont spécifiquement examiné le traitement EMDR chez les enfants atteints de TSPT, comme le recommandent les lignes directrices nationales et internationales. À ce jour, seules trois études contrôlées ont évalué l’efficacité de l’EMDR chez des enfants ayant subi des traumatismes multiples. Sur ces trois études, l’une s’est principalement intéressée à la symptomatologie post-traumatique tandis que les deux autres se sont intéressées plus spécifiquement aux troubles du comportement liés à des traumatismes complexes. Compte tenu (i) de la démonstration de l’efficacité de l’EMDR sur le TSPT et ses comorbidités, (ii) des conséquences de l’abus sur le développement de l’enfant, (iii) du risque de chronicisation et surtout du fait (iv) que la réactivation post-traumatique et la perturbation des relations interpersonnelles conduisent fréquemment ces jeunes à éviter les soins, l’EMDR devrait être davantage étudiée spécifiquement pour le TSPTC chez les enfants et les adolescents ayant des antécédents d’abus physiques ou sexuels.
Objectifs de l’étude
Notre étude prospective de série de cas, EMDR-Teens-TSPT, a été conçue pour évaluer l’efficacité d’une série de quatre séances de préparation et de six séances d’EMDR sur la symptomatologie du TSPT. Les objectifs secondaires de l’étude étaient d’évaluer l’efficacité de l’EMDR sur les principales comorbidités associées aux symptômes du TSPT de l’adolescent telles que la dépression, l’anxiété, les troubles de la régulation émotionnelle, les troubles du sommeil, les troubles du comportement et les conduites à risque, la consommation de substances illicites mais aussi son efficacité sur la qualité de vie et l’anxiété parentale. Les objectifs tertiaires de l’étude étaient de développer des propositions d’ajustement des futurs protocoles EMDR pour les adolescents souffrant de trouble stress-traumatique, avec une référence particulière au travail avec les parents.
En savoir plus
Références de l’article EMDR – Adolescents – TSPTC : Efficacité de l’emdr chez les adolescents souffrant d’un TSPT complexe secondaire à des abus dans l’enfance :
- auteurs : Rolling, Julie, Morgane Fath, Thomas Zanfonato, Amaury Durpoix, Amaury C. Mengin, and Carmen M. Schröder
- titre en anglais : EMDR–Teens–cPTSD: Efficacy of Eye Movement Desensitization and Reprocessing in Adolescents with Complex PTSD Secondary to Childhood Abuse: A Case Series
- publié dans : Healthcare, 12(19), 1993
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- Cursus de formation EMDR enfants
- Approche multimodale de la thérapie EMDR avec les enfants souffrant de traumatismes complexes
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