Fondements du protocole de tolérance à l'affect positif : Le rôle central de l'affect positif interpersonnel dans l'attachement et l'autorégulation

Fondements du protocole de tolérance à l’affect positif : Le rôle central de l’affect positif interpersonnel dans l’attachement et l’autorégulation

Mis à jour le 3 novembre 2023

Fondements du protocole de tolérance à l’affect positif : Le rôle central de l’affect positif interpersonnel dans l’attachement et l’autorégulation, un article d’ Andrew Leeds, publié dans le Journal of EMDR Practice and Research

Article publié en anglais – accès libre en ligne

Résumé

La recherche a mis en évidence les effets négatifs de la négligence et de la maltraitance précoces sur le développement de l’autorégulation émotionnelle et de l’attachement. L’attention s’est davantage portée sur les états d’affects négatifs liés aux expériences négatives et traumatisantes passées que sur les effets désactivants de l’absence d’états d’affects positifs partagés en bas âge, issus du jeu, de la chaleur et de l’affection des parents et de l’enfant. Les stratégies de traitement pour les survivants de négligences et d’abus précoces se sont concentrées sur les méthodes permettant de métaboliser les souvenirs d’événements traumatisants. Les modèles de développement des compétences ont mis l’accent sur les avantages de la tolérance à la détresse, de l’acceptation et de la formation à la pleine conscience pour les patients présentant des états d’affect négatifs persistants.

Les recherches sur les avantages des interventions thérapeutiques destinées à accroître l’affect positif indiquent qu’elles favorisent les comportements prosociaux et la créativité, élargissent le champ de l’attention, réduisent les symptômes émotionnels et les problèmes de comportement, et améliorent la santé physique.

Dans le domaine de la thérapie de désensibilisation et de retraitement par le mouvement oculaire (EMDR), les procédures visant à augmenter l’affect positif se sont généralement concentrées sur le développement des ressources et les procédures d’installation destinées à augmenter l’accès aux souvenirs et aux images liés à l’affect positif.

Un problème clinique négligé est l’incapacité des survivants d’une négligence précoce à tolérer et à intégrer une expérience interpersonnelle positive réelle dans des états émotionnels positifs, des scripts interpersonnels ou des concepts de soi. Ces déficiences, caractéristiques de ceux qui ont un attachement insécurisant rejetant, contribuent à produire et à maintenir de profonds problèmes psychologiques, médicaux et sociaux qui limitent la capacité des patients ayant ces antécédents à progresser en psychothérapie.

Cet article explore les recherches qui soutiennent les bénéfices potentiels d’une procédure liée à l’EMDR, le protocole de tolérance et d’intégration des affects positifs (PAT), ainsi que les mécanismes possibles par lesquels le protocole PAT en général, et ses procédures de stimulation bilatérale, pourraient produire des bénéfices cliniques pour les survivants d’une négligence précoce.

Des vignettes de cas illustrent les défis potentiels de la mise en œuvre et l’impact potentiel du protocole PAT. Des modèles de recherche et des outils d’évaluation sont décrits qui pourraient clarifier les avantages potentiels du protocole PAT par rapport à d’autres traitements conçus pour augmenter l’affect positif.


Introduction

Les survivants de la négligence émotionnelle et psychologique de la petite enfance trouvent souvent les expériences adultes d’états émotionnels positifs partagés aversives parce qu’elles ne sont pas familières – et donc déroutantes et anxiogènes (Kashdan et al., 2013). Ces personnes n’ont pas accès aux réseaux de mémoire adaptative précoce (Solomon & Shapiro, 2008) d’affects positifs partagés liés à un modèle positif de soi et ne peuvent donc pas prédire un résultat positif de ces interactions (Cotraccia, 2022). Ces interactions émotionnelles stimulantes peuvent également être ressenties comme aversives car elles sont associées à des expériences formatives précoces d’ignorance, de honte ou de blessure de la part des personnes qui s’occupent de l’enfant. Les adultes victimes de négligence peuvent tenter de dissimuler leur malaise intérieur en offrant une reconnaissance superficielle et socialement appropriée ou en détournant l’attention des autres. Ils peuvent aussi avoir l’air vide ou figé, car ces interactions sociales mal tolérées peuvent évoquer des états de dépersonnalisation ou de déréalisation (Michal et al., 2005 ; Myers & Llera, 2020).

Le protocole de tolérance aux affects positifs (PAT) est une approche thérapeutique de désensibilisation et de retraitement par les mouvements oculaires (EMDR) destinée à permettre aux survivants de la négligence émotionnelle et psychologique de la petite enfance d’accroître leur conscience, leur tolérance et leur intégration des moments d’états émotionnels positifs partagés. L’objectif du protocole PAT est d’aider ces personnes à intégrer de telles expériences dans des schémas interpersonnels adaptatifs et dans des concepts de soi plus résilients et positifs. Les procédures du protocole PAT ont été décrites dans un article précédent (Leeds, 2022). Le présent article explore en détail les fondements de la recherche sur le protocole PAT, apporte des clarifications procédurales et élargit l’éventail des avantages cliniques potentiels grâce à des illustrations de cas supplémentaires.

Deux thèmes explorés dans cet article : Les effets de la négligence émotionnelle et les stratégies de traitement EMDR

Cet article aborde deux thèmes principaux. Le premier explore les effets de la négligence émotionnelle et psychologique sur le développement de la petite enfance et le rôle de l’affect positif partagé sur le développement du cerveau. Le second thème explore comment, pour certains patients qui présentent un trouble d’anxiété sociale (TAS) et/ou un trouble de dépersonnalisation ou de déréalisation et qui ne remplissent pas encore les critères standard de préparation (Shapiro, 2018) pour le retraitement des souvenirs adverses ou traumatiques, il peut y avoir des avantages stratégiques à cibler initialement les expériences interpersonnelles actuelles d’affect positif partagé dans le cadre de la phase de préparation du traitement.

La nature de la thérapie EMDR 

La thérapie EMDR, en tant qu’approche de la psychothérapie, est basée sur le modèle du traitement adaptatif de l’information (TAI) et intègre un modèle général de traitement en huit phases (Shapiro, 2007, 2018). Au cours de la phase 1, un historique complet est recueilli afin de décrire l’ensemble des expériences de vie du patient, y compris les expériences positives, négatives et traumatiques marquantes, en mettant l’accent sur l’identification des expériences encodées de manière inadaptée, dont on suppose qu’elles constituent le fondement des symptômes actuels. L’identification des expériences de vie positives est également essentielle, car les résultats du traitement dépendent de la synthèse des réseaux de mémoire adaptatifs avec les souvenirs pathogènes (Hase et al., 2017 ; Solomon & Shapiro, 2008). Cette description de l’histoire du client conduit à une conceptualisation du cas fondée sur le TAI et à une proposition de séquence optimale pour le retraitement des mémoires cibles.

Dans la phase 2, le patient se voit proposer le type et l’étendue de la préparation nécessaire avant de retraiter les souvenirs d’expériences négatives et traumatisantes. Cette préparation comprend un consentement éclairé sur les risques et les avantages généraux de la thérapie EMDR et peut inclure des interventions de renforcement des compétences pour améliorer l’autorégulation affective, cognitive et comportementale. Il est essentiel que les patients développent une alliance thérapeutique fonctionnelle avec une confiance mutuelle suffisante pour tolérer une connexion interpersonnelle et une collaboration avec le clinicien (Cotraccia, 2022 ; Hase, 2021 ; Hase & Brisch, 2022). Dans certains cas, comme lorsqu’il existe des phobies d’affect importantes (McCullough, 2003) ou des phobies dissociatives (Van der Hart et al., 2010), une préparation prolongée peut être nécessaire avant et pendant la collecte d’une histoire complète et l’élaboration du plan de traitement. Les séances de retraitement commencent par la phase 3 d’activation délibérée et d’évaluation d’un souvenir spécifique à retraiter et se poursuivent par trois phases de retraitement : la phase 4 (désensibilisation), la phase 5 (installation) et la phase 6 (scanner corporel). Ces trois phases comprennent une stimulation bilatérale rapide avec des mouvements oculaires alternés gauche-droite, une stimulation kinesthésique ou des sons. Chaque session de retraitement se termine par une clôture organisée (phase 7). Les séances suivantes débutent par la phase 8, qui consiste à réévaluer le fonctionnement général, les symptômes et la ou les cibles précédentes du retraitement.

Application de la thérapie EMDR aux problèmes de vie liés à l’attachement

Plusieurs auteurs ont proposé des stratégies liées à l’EMDR pour modifier l’organisation de l’attachement et le circuit d’attachement en développement précoce (Burgdorf & Panksepp, 2006 ; Panksepp, 2011). Cela inclut à la fois l’utilisation de stratégies de développement et d’installation des ressources (DIR) (Korn & Leeds, 2002 ; Leeds & Shapiro, 2000 ; Schmidt, 2004 ; Steele, 2003) dans une phase de préparation étendue et le protocole EMDR standard du trouble de stress post-traumatique (TSPT) (Shapiro, 2018) pour retraiter les souvenirs défavorables des expériences d’attachement de la petite enfance (Wesselmann & Potter, 2009 ; Wesselmann et al., 2012). Les premières tentatives de modification directe des souvenirs associés aux expériences d’attachement avec la thérapie EMDR standard peuvent s’avérer difficiles en raison des défenses de minimisation/idéalisation qui empêchent l’activation de ces souvenirs ou des réactions défensives d’hyperactivation qui peuvent conduire à des états d’anxiété ou de dépersonnalisation (Knipe, 2018) qui dépassent la fenêtre de tolérance du patient (Siegel, 1999).

Attachement insécure évitant et rejetant (stratégies de désactivation)

Le rôle des défenses de minimisation n’a pas été largement exploré dans la littérature sur la thérapie EMDR. Cela ne devrait pas être surprenant. Comme le rapportent Carl et al. (2013) et d’autres, le rôle des stratégies de désactivation et, en particulier, leurs effets sur les états d’humeur positifs tendent à être sous-estimés dans la plupart des contextes cliniques. En outre, comme le soulignent Seligman et al. (2006), « les thérapies qui s’intéressent explicitement aux aspects positifs des patients sont rares ». Mikulincer et Shaver (2005, p. 151) décrivent les problèmes à multiples facettes qui découlent des stratégies de désactivation de l’attachement insécurisant : L’évaluation de la recherche de proximité comme peu susceptible de soulager la détresse entraîne l’inhibition de la quête de soutien et des tentatives actives de gérer la détresse seul. Ces approches secondaires de la régulation des affects sont appelées stratégies de désactivation (Cassidy & Kobak, 1988) car leur objectif principal est de maintenir le système d’attachement désactivé afin d’éviter la frustration et l’aggravation de la détresse causée par l’indisponibilité de la figure d’attachement. Ces stratégies consistent à nier les besoins d’attachement et à éviter l’implication émotionnelle, l’intimité et la dépendance dans les relations proches (Mikulincer & Shaver, 2005, p. 151).

Une conséquence rarement reconnue des stratégies de désactivation est la mesure dans laquelle la gravité des problèmes de santé mentale rencontrés par les personnes qui s’appuient sur ces stratégies est sous-estimée et insuffisamment traitée. Dans un article classique, Shedler et al. (1993) décrivent la tendance des personnes qui utilisent ce type de défense psychologique à paraître en meilleure santé qu’elles ne le sont réellement sur les échelles normalisées de santé mentale. Ils soulignent que « la défense psychologique a des coûts physiologiques. Elle est associée à une réactivité autonome et peut être un facteur de risque de maladie médicale ». Stänicke et McLeod (2021) ont étudié le rôle des stratégies de désactivation (défenses) dans les résultats paradoxaux du traitement, comme les patients qui semblent aller plus mal selon les mesures standard alors qu’ils sont plus disposés et capables de reconnaître l’étendue de leur souffrance et de leurs besoins non satisfaits.

L’approche de la tolérance affective positive pour aborder les questions liées à l’attachement et les stratégies de désactivation

Contrairement aux tentatives de retraitement des souvenirs de l’indisponibilité perçue d’une ou plusieurs figures d’attachement de l’enfance, le protocole PAT vise généralement à modifier le circuit de sociabilité qui se développe ultérieurement (Burgdorf & Panksepp, 2006 ; Panksepp, 2011). Le protocole PAT concentre le travail thérapeutique sur des expériences actuelles d’affect positif partagé, normalement positives mais mal tolérées. Le circuit de sociabilité qui se développe plus tard peut être moins encombré d’associations à des réactions défensives résultant de comportements non contingents, imprévisibles, effrayés ou effrayants des premiers soignants (Liotti, 2017). Il peut donc être moins susceptible de susciter des défenses de minimisation ou des réactions défensives d’hyperactivation que les tentatives de retraitement des souvenirs d’expériences liées à l’attachement précoce (Knipe, 2018). Dans le protocole PAT, le travail visant à réduire les stratégies de désactivation et à augmenter la capacité à tolérer et à assimiler les expériences interpersonnelles positives est localisé dans le présent.

La recherche soutient les bénéfices de la stimulation bilatérale sur les réseaux de mémoire positive

La recherche en laboratoire confirme le rôle bénéfique de l’incorporation de procédures de stimulation bilatérale dans les procédures EMDR axées sur les souvenirs positifs, telles que la procédure DIR et le protocole PAT.

La stimulation bilatérale réduit la réaction de sursaut aux images négatives et augmente l’attention aux images positives 

Reichel et al. (2021) ont étudié les effets de la stimulation tactile bilatérale sur le réflexe de sursaut et la réponse de conductance cutanée (SCR) chez des sujets non cliniques qui se concentraient tour à tour sur des scripts négatifs, neutres et positifs.

Les résultats démontrent clairement que la stimulation tactile bilatérale présente des avantages par rapport à l’absence de stimulation : Le réflexe de sursaut pendant l’imagination négative a été réduit et la réponse de conductance cutanée (c’est-à-dire l’attention) pour l’imagination positive a été augmentée. Ces résultats sont en corrélation avec une réduction du niveau de détresse pour les scénarios négatifs et une augmentation de l’éveil pour les scénarios positifs. (p. 1)

Les résultats démontrent également pour la première fois que la stimulation bilatérale augmente l’éveil subjectif et le SCR intégré (c’est-à-dire l’attention) pour les scènes mentales positives. Elle pourrait donc également convenir pour renforcer les émotions positives au cours de la thérapie. (p. 20)

Les résultats de Reichel fournissent une explication neurophysiologique aux effets observés de la stimulation bilatérale (SBA) pendant le protocole PAT, car les unités subjectives de perturbation (SUD) diminuent et les évaluations de la validité de la cognition (VoC) augmentent lorsque l’on se concentre sur des interactions sociales positives mal tolérées. Voir Cotraccia (2022) pour une discussion approfondie de la théorie des schémas d’attention (Graziano, 2021) ainsi que Hase et Brisch (2022) sur le rôle central d’une relation thérapeutique à l’écoute dans la promotion d’états accrus de conscience de soi et d’autrui comme moyen de retravailler le système d’attachement dans le cadre de la thérapie EMDR. Cotraccia discute également du rôle du sillon temporal supérieur (STS) dans la cognition sociale et l’attention, comme le révèlent les recherches d’Amano et Toichi (2016) sur la SBA.

La stimulation bilatérale renforce les sentiments positifs à l’égard des souvenirs positifs en augmentant l’activation du sillon temporal supérieur droit

Amano et Toichi (2016) ont utilisé la spectroscopie multicanal dans le proche infrarouge pendant un rappel assisté par script d’un souvenir agréable chez des sujets de laboratoire avec ou sans SBA tactile. Quinze sujets non cliniques ont été invités à penser à des souvenirs positifs personnellement significatifs associés à un sentiment de bien-être en écoutant un script qu’ils avaient préparé à l’avance. Ils ont été répartis au hasard dans l’ordre dans lequel ils ont réfléchi à leur souvenir positif avec ou sans SBA. Les auteurs ont mis l’accent sur l’applicabilité potentielle de leur étude à la procédure DIR ou à la phase d’installation axée sur les déclarations positives. Toutefois, leurs conclusions semblent tout aussi pertinentes pour le protocole PAT.

Les résultats ont montré que, par rapport à des conditions sans SBA, l’accessibilité était accrue et que les sujets étaient plus détendus dans des conditions de SBA. Une augmentation significative de la [concentration d’hémoglobine oxygénée : oxy-Hb] a été détectée dans le sillon temporal supérieur droit (STS), et une diminution dans les zones bilatérales étendues du cortex préfrontal a été observée en réponse à la SBA… Ces résultats indiquent un mécanisme neuronal important [lors de l’utilisation de la SBA avec des souvenirs positifs] selon lequel le traitement émotionnel s’est produit plutôt qu’un traitement cognitif plus élevé. (p. 1)

Il est intéressant de noter que les processus cognitifs supérieurs (par exemple, l’activité dans le cortex préfrontal) n’étaient pas nécessaires pour obtenir les bénéfices de la condition SBA sur les souvenirs positifs, car ces effets positifs se sont produits dans le STS, une région cérébrale inférieure importante pour la cognition sociale, l’empathie, la fiabilité et l’intention (Lehner et al., 2016, p. 345-364).

Dans cette étude, le STS droit a été significativement activé par la SBA (en utilisant une stimulation tactile bilatérale alternée) pendant le rappel de souvenirs agréables. Il est intéressant de noter que notre étude précédente sur les souvenirs désagréables a montré une activité significativement réduite dans le STS droit pendant le rappel avec la SBA (en utilisant le mouvement des yeux). Les résultats apparemment contradictoires concernant la réponse du STS peuvent être attribués à des différences dans la nature des souvenirs agréables et désagréables, étant donné que le STS droit est associé à la représentation de la mémoire. L’augmentation de l'[oxy-Hb] due à la BLS peut refléter l' »accessibilité accrue » et la « vivacité accrue » signalées dans les questions subjectives (Amano & Toichi, 2016, p. 8).

Compte tenu des preuves neuroscientifiques à ce jour, la SBA [lorsqu’elle se concentre sur les souvenirs positifs] peut améliorer les sentiments de confort concernant les souvenirs agréables (Amano & Toichi, 2016, p. 1).

Les effets de l’affect positif au cours du développement précoce

La théorie contemporaine de l’attachement trouve son origine dans les travaux de John Bowlby (1969, 1973, 1980, 1988), qui a été le premier à proposer que les enfants aient un besoin essentiel de rechercher la proximité de figures d’attachement. Ce désir humain de proximité est essentiel à la survie pendant la période d’impuissance qui suit immédiatement la naissance et a été conservé tout au long de l’évolution humaine. Les nourrissons qui bénéficient de soins constants et sensibles forment une base sûre pour développer un sentiment d’identité cohérent et pour s’aventurer dans le monde avec résilience. Des recherches neurobiologiques ultérieures ont clarifié les systèmes sensoriels et neurohormonaux spécifiques impliqués dans le développement des capacités essentielles d’autorégulation. Allan Schore a décrit comment l’affect interpersonnel positif partagé entre la mère et le nourrisson implique généralement un regard mutuel pendant les épisodes de jeu et est associé à la formation d’un attachement sécurisant au cours des deux premières années de la vie. Ces épisodes de jeu déclenchent des niveaux élevés d’opioïdes endogènes et de dopamine chez la mère et l’enfant, et semblent être essentiels au développement des capacités d’autorégulation émotionnelle médiées par l’orbitale préfrontale droite (Schore, 2003a, 2003b). Le regard mutuel pendant les états partagés d’affect positif est un élément central de ce processus.

Les événements de haute intensité des transactions de regard dyadique face à face sont des « moments centraux » de la journée du nourrisson en pleine croissance et ont « un effet formateur bien plus important que leur simple durée temporelle » (Pine, 1981, p. 25 ; Schore, 1994, p. 80).

Ces résultats de recherche constituent l’un des principaux éléments fondamentaux qui sous-tendent le rôle du regard mutuel dans le protocole PAT.

Effets psychologiques et neurobiologiques

Les expériences récurrentes d’affect positif partagé dans la petite enfance par le biais du jeu mutuel et de l’affection de la personne qui s’occupe de l’enfant produisent une série d’effets neurobiologiques spécifiques, y compris une sécrétion accrue de neuropeptides spécifiques – des opioïdes endogènes et de la dopamine – qui augmentent le taux de développement des circuits neuronaux dans le cortex orbital préfrontal droit impliqué dans la tolérance de l’augmentation interpersonnelle de l’excitation (Depue & Morrone-Strupinsky, 2005 ; Schore, 2003a, 2003b). Les personnes intéressées par l’impact de la cécité du nourrisson ou du parent sur le développement émotionnel de l’enfant sont invitées à se reporter aux discussions de Loots et al. (2003) et de Pérez-Pereira et Conti-Ramsden (2019). Avec la reconnaissance croissante de la neuroplasticité tout au long de la vie humaine (Barsaglini et al., 2014 ; Simpkins & Simpkins, 2013), il est prouvé que des effets neuropsychologiques positifs continuent d’être produits lorsque les adultes augmentent leur capacité à tolérer et à assimiler ces moments d’interaction émotionnelle positive (Koban et al., 2021).

Dans ce dialogue cocréé, la mère « suffisamment bonne » et son enfant coconstruisent de multiples cycles de « synchronie des affects » qui augmentent les affects positifs (par exemple, joie-élation, intérêt-excitation) et de « rupture et réparation » qui diminuent les affects négatifs (par exemple, peur-terrorisme, tristesse-dépression, honte). Les représentations internes des expériences d’attachement sont imprimées dans la mémoire implicite-procédurale latéralisée à droite comme un modèle de travail interne qui encode des stratégies non conscientes de régulation de l’affect (Schore, 2014).

La rareté relative, voire l’absence totale d’expériences précoces de régulation de l’affect positif partagé peut conduire les adolescents et les adultes ayant survécu à la négligence à éprouver de l’anxiété, de la méfiance et de la confusion lorsque des pairs, des mentors et des conseillers, même respectés, leur offrent des compliments, des louanges et de l’affection. Ils peuvent même soupçonner que ces compliments sont motivés par l’intention de les manipuler, de les tromper ou de les piéger. Ils minimisent ou détournent ces commentaires positifs et changent de sujet. L’affection, surtout lorsqu’elle est accompagnée d’un regard mutuel, au lieu d’induire des sentiments agréables, peut créer un sentiment croissant d’anxiété, voire de panique, qui conduit à un retrait de ce contact mal toléré.

Effets spécifiques de l’absence d’états d’affects positifs partagés dans l’enfance

Effets neurobiologiques

Des travaux approfondis ont été réalisés pour décrire les périodes sensibles à l’âge pour les effets de diverses formes de maltraitance infantile sur le développement (Teicher et al., 2018). Cependant, l’incapacité des survivants de la négligence à réguler leurs états émotionnels ne résulte pas uniquement des effets néfastes des événements traumatisants. Leurs déficits sont significativement liés au manque d’exposition à une séquence d’attachement sécurisante et développementale nécessaire pour favoriser les capacités d’autorégulation à médiation neurobiologique (Alexander, 1992, 1993 ; Fonagy et al., 2002 ; Schore, 1996, 1997, 2000, 2001 ; Siegel, 2012 ; Teicher et al., 1993, 1997 ; Teicher, 2000). Les effets spécifiques de la maltraitance et de la négligence diffèrent, par exemple, sur le développement perceptif. Les violences physiques subies pendant l’enfance entraînent une moindre précision dans la reconnaissance d’images neutres, qui sont plutôt perçues comme de la colère. La négligence précoce et l’abus sexuel dans l’enfance entraînent une moindre précision dans la reconnaissance d’images positives, qui sont plutôt considérées comme neutres. (Young & Widom, 2014). Les survivants de la négligence émotionnelle dans l’enfance atteints de TAS à l’âge adulte comparés à des témoins sains présentent « une activité neurologique moindre, des temps de réaction plus lents et une moins bonne mémoire pour l’acceptation des visages heureux » (Kashdan, 2007, p. 359). Par conséquent, Kashdan et al. (2013) suggèrent que « les cliniciens pourraient envisager d’élargir la cible explicite des interventions pour le TAS afin d’inclure la réduction de l’évitement expérientiel et l’augmentation des expériences positives. » (p. 653)

Vulnérabilité aux états de dépersonnalisation

Le risque d’éprouver des états de dépersonnalisation et de déréalisation chez les jeunes adultes – tel que mesuré par l’échelle des expériences dissociatives (DES-II) – a été trouvé par Ogawa et al. (1997) comme étant beaucoup plus fortement lié à des expériences précoces de négligence qu’à des abus physiques ou sexuels dans la petite enfance. Comme le résument Dutra et al. (2009)

Le rôle des processus d’attachement précoce dans les voies de la dissociation a été étayé par une étude longitudinale sur 20 ans, depuis la petite enfance, portant sur 126 enfants issus de familles à faible revenu. Ogawa et al. (1997) ont constaté que l’attachement désorganisé et l’indisponibilité psychologique du donneur de soins au cours des deux premières années de vie étaient les prédicteurs les plus forts des niveaux cliniques de dissociation tels que mesurés par le DES au début de l’âge adulte. Ces deux variables représentaient à elles seules un quart de la variance de la dissociation. L’indisponibilité psychologique de la personne qui s’occupe de l’enfant était le prédicteur le plus fort de la dissociation à l’âge de 19 ans, représentant 19 % de la variance de la dissociation [souligné par l’auteur]. Il est surprenant de constater que l’existence d’abus physiques ou sexuels évalués prospectivement pendant l’enfance n’a pas été associée aux scores de dissociation.

Une recherche longitudinale ultérieure menée par Dutra, Bianchi et al. (2009, p. 87) a confirmé que les mauvais traitements subis pendant la petite enfance ne permettaient pas de prédire les scores DES-II à l’adolescence. Au lieu de cela, les prédicteurs les plus forts de la dépersonnalisation et de la déréalisation chez les jeunes adultes étaient le manque d’engagement affectif maternel positif pendant la petite enfance, la platitude de l’affect maternel et la perturbation générale de la communication maternelle. Alors que le développement de troubles dissociatifs complexes, tels que le trouble dissociatif de l’identité (TDI), a été clairement lié à l’exposition chronique aux abus physiques et/ou sexuels de la petite enfance (Dorahy et al., 2014), la recherche longitudinale de Dutra, Bianchi, et al. (2009) et d’Ogawa et al. (1997) a démontré que l’absence d’affect positif partagé ainsi que la négligence psychologique créent la vulnérabilité essentielle aux états de dépersonnalisation et de déréalisation à l’âge adulte. Cette étiologie justifie d’envisager des interventions EMDR spécifiques organisées pour apprendre aux survivants de la négligence à s’intéresser aux expériences d’affect positif partagé, à mieux les tolérer et à les assimiler. Cette étiologie permet de prédire que l’augmentation des capacités à tolérer et à apprécier les affects partagés pourrait conduire à une diminution de la vulnérabilité aux états de dépersonnalisation ou de déréalisation.

Recherche sur les interventions thérapeutiques visant à accroître l’affect positif

Un examen transdiagnostique complet du rôle de la régulation émotionnelle positive dans les troubles émotionnels, réalisé par Carl et al. (2013), a résumé les outils d’évaluation standardisés et 12 interventions, dont la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, la méditation de l’amour bienveillant, les interventions de psychologie positive et la thérapie de l’acceptation et de l’engagement. Ils ont mis en évidence deux domaines importants qui sont explicitement abordés dans le protocole PAT. Premièrement, ils décrivent un besoin de « psychoéducation concernant la nature et la fonction des émotions positives… » (p. 355). En rapport avec le contexte du protocole PAT, ils ont explicitement discuté des « stratégies de modulation de la réponse régulatrice contrôlée vers le haut pour les émotions positives », telles que la « dégustation » (Eisner et al., 2009).

Une revue plus récente de Miguel-Alvaro et al. (2021) résume la littérature sur les interventions axées sur les souvenirs positifs, y compris les techniques visant à accroître l’accessibilité des souvenirs positifs et à améliorer l’estime de soi ou la régulation émotionnelle. Cependant, aucune des techniques examinées par Miguel-Alvaro et al. (2021) n’impliquait la modification prospective des expériences actuelles d’interactions interpersonnelles positives, la réduction de l’évitement défensif de l’affect positif partagé ou l’augmentation des déclarations positives sur l’acceptation d’interactions interpersonnelles positives, comme le fait le protocole PAT. (…)

En savoir plus 

Références de l’article Fondements du protocole de tolérance à l’affect positif : Le rôle central de l’affect positif interpersonnel dans l’attachement et l’autorégulation :

  • auteurs : Leeds, A. M.
  • titre en anglais : Foundations of the Positive Affect Tolerance Protocol: The Central Role of Interpersonal Positive Affect in Attachment and Self-Regulation
  • publié dans : Journal of EMDR Practice and Research, 17(3)
  • doi : https://doi.org/10.1891/emdr-2023-0006 

Aller plus loin 

Formation(s) : Trauma précoce, Attachement et EMDR

Dossier(s) : EMDR avec les enfants et adolescents

M’inscrire Vous avez une question ?