Guérir, c’est rencontrer une partie de soi-même

Mis à jour le 25 septembre 2011

David Servan-Schreiber  – Psychologies Magazine – Mars 2004
Matthieu se souvient de la violence de son père alcoolique. Quand il y pense, il voit encore, trop clairement, les coups que recevait sa mère, il entend la voix rauque et les insultes maugréées. Malgré tout son désir d’enfant, il ne pouvait rien faire pour arrêter cette folie. De cette époque, Matthieu a gardé un sentiment profond d’impuissance, qui le mine lorsqu’il doit s’opposer à un collègue de bureau ou s’affirmer contre son patron. Pourtant, il sait qu’il n’est plus aussi vulnérable aujourd’hui. Il sait qu’il n’y aura pas de violence à son travail et que son avis est respecté. Il sait qu’il est maintenant adulte, qu’il peut protéger ses enfants, qu’il parle à sa femme sans violence même lorsqu’ils sont en conflit. C’est d’ailleurs parce qu’il sait qu’il ne devrait plus se sentir si souvent impuissant qu’il consulte un thérapeute… Mais tout se passe comme s’il n’était pas suffisamment en contact avec cette partie de lui-même. Cette partie qui peut le guérir.
Ghislaine est déprimée. Elle n’a plus envie de se lever le matin. Ses collègues de bureau l’irritent, elle s’énerve facilement contre ses enfants. Elle ne prend plus aucun plaisir à déjeuner avec sa meilleure amie, le cinéma l’ennuie. Elle dort mal. Il lui arrive encore, rarement, de sourire, mais, dans sa journée, c’est une éclaircie qui dure à peine. Elle sent, dans ces brefs instants, que c’est de cette énergie-là, celle du sourire, dont elle a envie dans sa vie, mais elle se laisse glisser à nouveau dans l’irritation, le découragement, le cynisme. Pourtant, l’énergie qui peut la guérir est bien là, présente à l’intérieur d’elle-même.
Nous avons tous, dans notre cerveau, dans le flux constant de nos idées, dans les va-et-vient de nos humeurs, une vaste palette de pensées et d’« énergies », une multitude de couleurs, pourrait-on dire. Les unes nous font souffrir, les autres nous soulagent. Guérir consiste souvent simplement à permettre à certaines de nos perspectives ou à certaines de ces couleurs – les plus positives – d’être plus fortes que celles qui nous étouffent.
Une étude de l’université de Toronto (Canada) suggère que le traitement réussi de la dépression semble activer des zones différentes du cerveau, selon qu’il a été réalisé par psychothérapie ou par antidépresseurs (K. Goldapple et collab., “Archives of General Psychiatry”, janvier 2004). Quand, avec la première méthode, se profile à l’intérieur de notre cerveau une perspective de douceur, de calme, de tolérance, dominant celle de souffrance que le passé porte en lui, le scanner PET (tomographie à émission de positrons) révèle que c’est surtout une région du cerveau cognitif qui est activée. Comme si cette région des idées pouvait mieux soutenir une perspective positive. Si c’est un médicament qui nous a permis de retrouver plus de plaisir, plus d’entrain, de rentrer plus facilement en contact avec l’énergie vitale qui est en nous, et que nous oublions parfois, ce sont des régions du cerveau émotionnel qui se montrent plus actives. Comme si elles pouvaient, maintenant, mieux afficher les couleurs du plaisir.
Il y aurait donc plusieurs chemins possibles vers la guérison. Et les voir se dessiner sous la lumière du scanner d’imagerie fonctionnelle est très rassurant. Que ce soit une nouvelle perspective qui s’affirme ou une énergie qui revient, dans tous les cas il s’agit d’une part de nous-même que nous retrouvons, que nous renforçons. Une partie de nous qui a toujours été là. Il s’agit donc vraiment d’une rencontre intérieure. Et, comme dans toute rencontre, il faut savoir nourrir cette nouvelle relation. Comme en amour, il faut apprendre à vivre ensemble, à se respecter, à se nourrir mutuellement. Il suffit rarement d’une seule réalisation soudaine (« insight ») ou d’un seul traitement par un médicament pour être à jamais construit. Nous devons tous apprendre à reconnaître d’abord, à soutenir ensuite, la rencontre qui, en nous, nous permet de guérir.

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