La psychotraumatologie à l'écran : "Des vivants", une série pionnière sur la reconstruction post-traumatique

La psychotraumatologie à l’écran : « Des vivants », une série pionnière sur la reconstruction post-traumatique

Mis à jour le 31 octobre 2025

Quand la fiction éclaire le parcours thérapeutique des survivants d’attentat

Dix ans après les attentats du 13 novembre 2015, la série « Des vivants » marque un tournant dans la représentation médiatique du trauma. Disponible sur France.tv depuis le 27 octobre 2025 et diffusée sur France 2 à partir du 3 novembre, cette fiction en huit épisodes signée Jean-Xavier de Lestrade est une œuvre intéressante pour les professionnels de la santé mentale : elle donne enfin à voir, avec précision et dignité, ce qu’implique concrètement de vivre avec un trouble de stress post-traumatique.

Un projet ancré dans la réalité clinique

La série retrace l’histoire vraie de sept rescapés du Bataclan, retenus en otage pendant plus de deux heures dans un couloir étroit de la salle de concert. Ces survivants, qui se surnomment les « Potages » (contraction de « potes » et « otages »), ont tissé une amitié indéfectible devenue le socle de leur reconstruction. Marie, Arnaud, Sébastien, Caroline, Grégory, David et Stéphane se sont retrouvés chaque semaine pendant des années dans un bar parisien, créant un groupe de soutien spontané qui leur a permis de traverser l’après.

La démarche du réalisateur Jean-Xavier de Lestrade s’apparente à celle d’un documentariste. « On a recueilli leur témoignage, on a écrit directement à partir de ce récit », explique-t-il sur Europe 1. Pendant près de deux ans, il a recueilli les témoignages des sept protagonistes lors d’entretiens individuels de plusieurs heures. « On les a vus un par un très longuement, des journées entières, où ils nous ont raconté leur histoire, en allant dans des zones extrêmement intimes », précise son coscénariste Antoine Lacomblez (20 Minutes). Le réalisateur a également rencontré les conjoints des survivants, des agents de la BRI et Sandrine Larremendy, psychologue qui a suivi trois des « Potages » en thérapie. Le scénario a été écrit exclusivement à partir de ces récits, avec l’accord explicite des survivants pour chaque détail intime évoqué.

Montrer le trauma dans sa durée

Ce qui distingue fondamentalement « Des vivants » des représentations habituelles du trauma, c’est son choix du temps long. Contrairement aux récits qui se focalisent sur l’événement traumatique lui-même, la série prend le parti de documenter huit années de reconstruction, de la sortie du Bataclan jusqu’au procès de septembre 2021.

« Cette attention portée sur la durée, c’est toute la singularité du projet », souligne le réalisateur dans l’article du CNC. La série montre « ce que c’est que de vivre avec un traumatisme, de devoir se relever tous les matins avec ça en soi » (CNC). Elle expose les multiples facettes du TSPT : les effondrements et les espoirs, les flash-backs envahissants, le délabrement de la vie sexuelle et professionnelle, le sentiment de solitude face à l’incompréhension des proches. Comme l’explique David Fritz-Goeppinger, l’un des otages, sur France Inter : « Le terrorisme se glisse dans ces petites choses qui sont absolument dégueulasses qui viennent nous chercher dans l’après, et cette série le montre extrêmement bien ». Pour lui, la série illustre bien « le délabrement de la vie sexuelle, professionnelle, ce qui nous abime et ce qui nous répare » (France Inter).

Le collectif comme processus réparateur

Au-delà du diagnostic, « Des vivants » illustre avec finesse les mécanismes de réparation. La série met en lumière la force du lien thérapeutique créé par le groupe des « Potages ». Comme le confie l’actrice Alix Poisson, qui incarne Marie, au Pèlerin  : « Certains potages nous ont dit : j’ignore ce qui se serait passé si j’avais dû traverser seul l’après-attentat. »

La série documente comment ces retrouvailles hebdomadaires, ponctuées de discussions, de musique et de chants, ont constitué un espace de parole unique où chacun pouvait exprimer sa douleur sans jugement. Elle montre que la reconstruction ne passe pas uniquement par le travail thérapeutique individuel, mais aussi par le partage d’une expérience commune, par la reconnaissance mutuelle et par la création d’une mémoire collective. Interrogé par Télérama, Sébastien confie qu’ils sont devenus « de vrais amis, avec ce lien à part des rescapés ».

Une approche clinique de la mise en scène

La pudeur caractérise chaque choix de réalisation. « Nous ne voulions surtout pas être dans la mise en scène de la douleur humaine. Il n’y a rien de plus insupportable. Nous sommes toujours au cordeau, en évitant la manipulation émotionnelle », affirme Jean-Xavier de Lestrade (CNC). Aucune image de mort n’est montrée, aucun effet de violence gratuit. « Je crois que l’on voit un drap blanc passé furtivement sur un corps, mais c’est la seule chose. Ce n’est pas la peine de montrer des cadavres. Nous savons ce qu’il s’est passé », précise le réalisateur (CNC). La série privilégie les sons (gémissements, cris, tirs) et suggère plus qu’elle ne montre.

Le poids émotionnel du tournage s’est fait sentir même pour les équipes techniques et les seconds rôles. Illyès Salah, qui incarne le policier de la BRI en tête de colonne lors de l’assaut, témoigne dans le Républicain Lorrain : « Sur un tournage, tu te marres toujours, parce que tu fais abstraction de ce que ça raconte. Tu es plus concentré sur ton travail. Mais un moment, on a tourné une reconstitution de la commémoration qui s’était tenue un an après l’attentat. Il y avait les comédiens interprétant les otages, les membres de la BRI, avec un acteur au micro énumérant les noms des victimes… On était nombreux, avec plein de figurants, devant le Bataclan, le vrai. Là, oui, ça fait quelque chose. Tu as l’impression d’y être. C’est dans ce genre de moments que tu ressens vraiment le poids du truc. » ) 

Cette volonté de ne pas céder au spectaculaire découle d’une réflexion approfondie du réalisateur sur le rôle de la fiction. « Il faut surgir ici sur la pointe des pieds, avec l’ambition de laisser la matière s’exprimer sans volonté de la tordre ou de la corriger », explique Jean-Xavier de Lestrade à la RTBF). La série refuse délibérément d’être un « récit de transformation du malheur en épopée héroïque » et choisit plutôt de questionner : « David, Sébastien, Marie, Arnaud, Stéphane, Grégory et Caroline sont sortis du couloir, sont sortis du Bataclan, ils sont vivants… Mais vivants comment ? » (RTBF)

Cette retenue correspond à une véritable éthique clinique. Sandrine Larremendy, la psychologue associée au projet, explique sur France Inter : « L’idée, c’était quand même de ne pas faire une série d’horreur, garder de la pudeur, penser aux familles qui souffrent et ne pas figer les spectateurs dans la scène traumatique. » Pour les victimes, précise-t-elle, « ça permet de prendre de la distance, de regarder leur vécu sous un autre angle. Pour le grand public, de découvrir ce que c’est de vivre un psycho-trauma » (France Inter).

Des vertus pédagogiques pour les soignants

Pour les professionnels de la santé mentale, « Des vivants » représente un outil de formation précieux. La série donne à voir concrètement les manifestations cliniques du trauma complexe : les troubles du sommeil, les conduites d’évitement, les difficultés relationnelles, mais aussi le syndrome de Lazare – ce sentiment de culpabilité d’avoir survécu quand d’autres sont morts. « Comment être à la hauteur de cette deuxième vie », s’interroge Jean-Xavier de Lestrade sur Europe 1, évoquant ce syndrome qui pèse sur les survivants.

Elle illustre également les processus thérapeutiques à l’œuvre : l’importance de la verbalisation, le rôle du soutien par les pairs, la nécessité de reconstruire un récit cohérent de l’événement. Comme le souligne le réalisateur sur France Inter, le projet était de montrer « par où passe le trauma, comment on se relève ou on ne se relève pas ». Les huit heures de série permettent d’accompagner les personnages dans leurs rechutes et leurs progrès, montrant que la guérison n’est jamais linéaire. Benjamin Lavernhe, qui joue Arnaud, résume cette expérience par une formule saisissante rapportée dans Le Pèlerin : « Huit heures d’empathie ! Écouter autant les personnages et leurs douleurs, c’est fou. »

Une démarche respectueuse mais controversée

Le choix de tourner certaines scènes dans le Bataclan lui-même a suscité des réactions contrastées. Arthur Dénouveaux, président de l’association Life For Paris et rescapé du Bataclan, estime sur ICI que cela « brouille la frontière entre fiction et réalité » et que « ça ne me paraît pas sain ». Selon lui, revoir les fauteuils rouges a provoqué « une émotion énorme parmi les gens de Life For Paris » (ICI). Il avait fait part de ses réserves au réalisateur avant le tournage : « À cette occasion-là, on a évoqué l’idée de tourner dans le Bataclan, ça me semblait être une mauvaise idée pour trois raisons. La première c’est que ce n’est pas nécessaire, il y a moyen d’aller tourner dans d’autres salles à Paris qui ont les mêmes sièges rouges. La deuxième c’est que ça brouille la frontière entre fiction et réalité et que ça, ça ne me parait pas sain (…) et la troisième chose c’est que ça pouvait choquer profondément les victimes qui considèrent que le Bataclan est soit l’endroit où elles ont failli mourir, soit où leurs proches sont morts » (ICI).

Du côté des « Potages » eux-mêmes, la position est claire. David Fritz-Goeppinger explique sur France Info pourquoi il était essentiel de tourner au Bataclan : « C’était important pour nous. On a vécu une toute petite histoire au sein de la grande histoire qui est celle du Bataclan, des terrasses, du Stade de France et je pense que pour nous, il y avait un enjeu de représenter ce que c’était que ce couloir d’un mètre trente de long sur six de large. » Il ajoute néanmoins : « J’ai énormément de respect pour toute la communauté de victimes des attentats du 13 novembre. C’est important de revenir à cette collectivité, de respecter l’avis de chacun. » Thomas Goldberg, l’acteur qui l’incarne, témoigne également sur France Info de l’importance de ce choix : « Ça nous a mis dans une vérité instantanée. Ce n’est pas pour autant que ça n’a pas été compliqué de se mettre dans cet état ce jour-là. Je pense que c’était nécessaire aussi par rapport à tout le réalisme dont fait preuve cette série tout le long. »

Jean-Xavier de Lestrade défend ce choix sur France Inter  : « Je comprends. Et peut-être que si j’avais été proche de victime ou victime, j’aurais eu exactement la même réaction. Mais avec cette série, on est frontalement avec les faits, avec le Bataclan, avec les otages du Bataclan. Tout est cité, nommé, tourné dans le Bataclan. Il ne fallait pas tricher. » Il précise également sur ICI que « ce sont les Potages, dont il raconte l’histoire, qui ont insisté pour tourner dans le Bataclan » et que « les sept otages ont, en effet, écrit eux-mêmes à la mairie de Paris pour obtenir l’autorisation de tournage » (ICI).

Ce débat soulève des questions essentielles sur la représentation du trauma : jusqu’où peut-on aller dans la reconstitution ? Comment respecter la mémoire des victimes tout en créant une œuvre qui serve le devoir de mémoire collective ?

Arthur Dénouveaux a d’ailleurs lui-même tempéré sa position initiale sur les réseaux sociaux : « De l’avis des victimes qui l’ont vue, la série est paraît-il très réussie, c’est le plus important », a-t-il écrit sur X (Le Huffington Post).

Une reconnaissance critique unanime

Malgré cette controverse, la réception critique salue quasi unanimement la justesse de l’œuvre. Les Échos y voit « la série qu’on attendait sur les attentats du Bataclan », un « récit poignant mais sans pathos ». Le Parisien loue la « délicatesse » du réalisateur qui « place l’humain au-dessus de tout ». France Info qualifie la série de « puissante, digne, magnifiquement emmenée », tandis que Le Pèlerin évoque « huit heures d’empathie ». Seul bémol, Les Inrockuptibles, qui titre sur « une série nécessaire sur les traumatismes du 13 novembre », mais qui note une fiction « développée avec beaucoup de précision et de sérieux, mais qui semble parfois intimidée par son sujet ». Une intimidation sans doute à la hauteur du « vertige de la représentation » d’un tel drame.

Pour David Fritz-Goeppinger, l’un des « Potages », interrogé sur France Inter  : « Ce qui a bien marché dans cette série, c’est que Jean-Xavier et toutes les personnes qui ont porté ce projet arrivent à rester dignes. C’est une étape de plus et c’est celle qui montre le mieux ce qu’il s’est passé dans nos foyers » après les attentats.

Un tournant dans la représentation médiatique du trauma

« Des vivants » s’inscrit dans un moment charnière. Le moment du deuil est passé. Le moment de la justice est passé » et dix ans après, « c’est le moment de se souvenir et de partager à nouveau », explique Jean-Xavier de Lestrade au Huffington Post. Cette série incarne ce que le cinéaste appelle « le temps de la fiction », celui où il devient possible de créer « des souvenirs presque romanesques autour d’une tragédie nationale » (CNC).  Maintenant, nous arrivons sur le temps du souvenir », explique Jean-Xavier de Lestrade (CNC). Pour lui, « la fiction a un rôle essentiel à jouer : elle crée des souvenirs presque romanesques autour d’une tragédie nationale » (CNC). Sur France Inter , il ajoute : « On est dix ans après et je pense que c’est le rôle aussi de la fiction et de cette série. Qu’est-ce qui lie les gens ? Qu’est-ce qui fait socle commun ? C’est vraiment les histoires que l’on se raconte et les histoires que l’on se partage. Et cette histoire-là, il faut la partager, il faut se la raconter. »

Pour les professionnels de la santé mentale, cette série marque une avancée significative. Elle contribue à déstigmatiser le TSPT en le rendant visible et compréhensible pour le grand public. Elle valide l’expérience des victimes en montrant que leur souffrance est réelle, durable et légitime. Elle illustre enfin qu’avec du temps, du soutien et de l’accompagnement thérapeutique, la reconstruction est possible.

Comme le souligne le producteur Matthieu Belghiti dans l’article du CNC, l’équipe espère avoir réussi à construire une fiction « aux vertus réparatrices. Une série qui montre que, même dans les périodes les plus compliquées, il y a des liens à créer, un truc qui nous unit tous. Et que nous arrivons à nous relever ensemble. »

Dans un contexte où les événements traumatiques collectifs se multiplient, « Des vivants » offre un modèle de représentation médiatique respectueux et cliniquement pertinent. Une œuvre qui, au-delà de son intérêt documentaire, pourrait bien participer à faire évoluer notre regard collectif sur le trauma et ses survivants.

En savoir plus 

« Des vivants » – Série en 8 épisodes de 52 minutes
Créée par Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez
Avec Benjamin Lavernhe, Alix Poisson, Antoine Reinartz, Félix Moati, Anne Steffens, Thomas Goldberg, Cédric Eeckhout
Disponible sur France.tv depuis le 27 octobre 2025
Diffusion sur France 2 à partir du 3 novembre 2025

Sources : France Bleu/ICI, Télérama, CNC, Le Pèlerin, Les Échos, France Inter (Radio France), France Info, L’Humanité, 20 Minutes, Le Parisien, Le Républicain Lorrain, Libération, L’Éclaireur (FNAC), Gala, Europe 1, RTL, Les Inrockuptibles, Républicain Lorrain, Huffingtonpost, RTBF, La Croix, Le Nouvel Obs, Le Monde, Le Figaro      

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