Survivre au choc des attentats de Paris

Survivre au choc des attentats de Paris

Mis à jour le 5 octobre 2022

Article Survivre au choc des attentats de Paris, de Sandrine Cabut, publié sur le site de Le Devoir.
Le «tapping», une technique utilisée pour prévenir le choc post-traumatique
Ce 26 novembre, Justine (nom fictif) est venue en urgence consulter cette psychologue qu’elle ne connaissait pas. Depuis les attentats du 13 novembre, elle est oppressée, angoissée. Elle n’arrive pas à dormir. Le soir du drame, elle était au Stade de France avec une amie. Puis elle a appris ce qui se passait dans son quartier, le 9e arrondissement… Voilà plus d’une heure que Laurence Peltier lui fait redérouler le fil, du début du match de football jusqu’au soir de la consultation.
« La première fois que j’ai repris le métro, j’ai regardé partout autour de moi sur le quai : les gens, leurs paquets… Je me sentais mal. Je suis rentrée directement dans mon appartement. J’ai appelé mon copain pour qu’il me rejoigne le soir. Je ne me sentais pas en sécurité chez moi », raconte Justine.
Tout en écoutant la jeune femme de 26 ans, la psychologue Laurence Peltier lui tapote les genoux, à droite, puis à gauche. C’est du tapping, une technique de stimulation bilatérale alternée utilisée dans l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), un modèle de psychothérapie qui aide le cerveau à traiter des événements traumatisants.
« Comment vous sentez-vous maintenant ?, interroge-t-elle. L’objectif est que vous puissiez faire ce trajet en toute sérénité, poursuit Laurence Peltier. Maintenant que l’émotion a diminué, repassez la scène dans votre tête, en même temps que je fais le tapping. Si vous sentez que c’est trop dur, levez la main. »
La thérapeute repère les moments traumatisants, pour les « travailler », un à un : le mouvement de foule à la descente des gradins ; l’attente dans la nuit avant de récupérer la voiture ; la violence des images à la télévision le lendemain… « Lorsqu’il y a un trop-plein d’émotions, les deux hémisphères du cerveau, l’émotionnel et le rationnel, ne communiquent plus. Avec des stimulations bilatérales alternées comme le tapping ou des mouvements oculaires, l’EMDR reproduit de façon artificielle le traitement naturel des informations, qui a lieu notamment durant le sommeil. Le premier bienfait est de restaurer le sommeil », explique Laurence Peltier. Après 90 minutes de traitement, Justine se dit épuisée, mais apaisée. Un mieux-être que les praticiens apprécient avec un score d’autoévaluation des perturbations de 0 à 10.
Prévenir le stress post-traumatique
Reconnue comme l’un des traitements des états de stress post-traumatique (ESPT), l’EMDR est de plus en plus proposée en prévention, dans les suites immédiates d’un traumatisme. Depuis les attentats de Paris, Laurence Peltier est intervenue auprès de nombreuses personnes, envoyées par une toute jeune association, Action EMDR Trauma. « L’ambition est de déployer des interventions d’EMDR à titre humanitaire au plus près de l’événement stressant, après un attentat, une catastrophe naturelle…, explique Isabelle Meignant, présidente de ce réseau européen, et formatrice EMDR Europe. C’est une approche pragmatique, qui ne nécessite pas de recueillir beaucoup d’informations personnelles. Une seule séance peut suffire, surtout si elle est pratiquée dans les jours qui suivent l’événement. »
Travailler pour l’avenir
La psychologue a des cas plus délicats à gérer, comme celui de cette trentenaire qui travaille sur l’un des lieux des attentats. Pendant dix jours, cette jeune femme consciencieuse et dynamique a « pris sur elle ». Mais les symptômes se sont multipliés, qui l’ont amenée à consulter : courbatures dans tous les membres ; insomnies ; phobie des lieux clos ; panique à l’idée de donner son sang, ce qu’elle faisait depuis ses 18 ans ; difficultés à revenir sur la zone de la fusillade… Après quatre séances d’EMDR de deux heures, « elle est moins angoissée, a pu mettre les événements à distance, mais il faut encore travailler le futur », souligne Mme Meignant.
Ces dernières années, plusieurs études ont rapporté des bénéfices de l’EMDR en prévention des ESPT — après un tremblement de terre au Mexique en 2010, et chez des survivants du World Trade Center, en 2001, notamment —, mais les données scientifiques sont moins solides dans les cas d’ESPT déjà présents.
« De plus en plus d’indications font l’objet d’essais cliniques en EMDR, en particulier les phobies et les troubles anxieux, les douleurs chroniques, les troubles bipolaires et plus récemment les psychoses », notent Juliette Gueguen (Inserm) dans un récent rapport sur l’hypnose et l’EMDR. Parallèlement, des chercheurs explorent les mécanismes par lesquels cette thérapie agit sur le cerveau, dont l’équipe de Stéphanie Khalfa de l’Institut de neurosciences de la Timone à Marseille.
« L’état de stress post-traumatique correspond à une altération du circuit de la peur, avec un conditionnement plus fort et une extinction plus difficile des réponses de peur par rapport à des personnes exposées au même événement traumatique mais qui ne développent pas d’ESPT, détaille la chercheuse. Avec l’IRM, nous avons montré que la thérapie EMDR restaure une activité normale à ce niveau, notamment dans l’amygdale. »
En France, trois formations (dont une universitaire) sont agréées, ouvertes aux professionnels de la psychologie et de la psychiatrie. « Nous recensons 1200 membres, contre 700 en 2010, indique le docteur Martin Teboul, président d’EMDR France. Nos objectifs sont de développer l’offre, avec une formation continue obligatoire. » L’association lutte également contre les « faux praticiens », qui contribuent à l’image encore parfois sulfureuse de l’EMDR.

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