Un tranquilisant naturel ?

Mis à jour le 14 octobre 2022

David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Novembre 2000

Les Français détiennent le record mondial de consommation d’anxiolytiques (le Valium et ses cousins Temesta, Tranxene, Mogadon, etc.). Ce sont des médicaments efficaces, et certainement Temesta, Tranxene, Mogadon, etc.). Efficaces, ces médicaments sont certainement bien moins dangereux que leurs prédécesseurs barbituriques. Ils calment la sensation d’inquiétude diffuse et, surtout, les symptômes physiques de l’anxiété : pression dans la poitrine, sensation de manque d’air, tension des épaules et de la nuque, maux de tête, bouche sèche, mains moites, troubles d’estomac. Ils facilitent aussi le sommeil, et c’est peut-être là leur principale utilisation.

Mais la médaille a un revers : les anxiolytiques abrutissent et affaiblissent la mémoire.

Au cours des dernières années, plusieurs études scientifiques ont attiré l’attention sur une alternative naturelle en provenance du Pacifique : le kava, plante très répandue de la Polynésie à l’Indonésie. Elle y est utilisée depuis plusieurs siècles dans les cérémonies religieuses et les rituels d’accueil. De Tahiti à Samoa en passant par les îles Marquises, les habitants lui reconnaissent un pouvoir sociabilisant, renforçant la sensation de bien-être sans fatigue ni intoxication. L’explorateur français La Pérouse décrit dans ses mémoires (publiées en 1798) comment il a été accueilli à Samoa par un vieil homme brandissant une large racine de kava en signe de bienvenue.

Scientifiquement, cette plante aurait la capacité d’apaiser l’anxiété sans amenuiser les facultés mentales. Une étude de 1990 suggère d’ailleurs que son action anxiolytique est comparable à celle des benzodiazépines (le nom chimique de la famille du Valium), mais avec des effets secondaires amoindris. Résultats confirmés par deux autres études qui avaient inclu l’alcool dans leurs recherches. Elles ont révélé que le kava était le seul à n’avoir pas d’effet négatif sur un test de mémoire et sur l’électroencéphalogramme. Il y aurait donc peu d’effets secondaires du kava, et peu ou pas d’accoutumance. Toutefois, des cas d’intoxication ont été décrits quand de fortes doses ont été ingérées ou quand la prise de la plante s’accompagnait d’alcool. Il semble également que la consommation excessive (sur le long terme) puisse induire un dessèchement et une coloration jaunâtre de la peau, qui disparaissent peu à peu après arrêt. La plante interfère sans doute avec le métabolisme de la dopamine dans le cerveau et pourrait faire empirer les symptômes de la maladie de Parkinson.

D’un point de vue médical, il est difficile de comprendre qu’une herbe ait une efficacité comparable à celle d’un médicament sans ses effets secondaires. Toutefois, cela semble être le cas pour bon nombre d’herbes médicinales, même si certaines sont connues pour les dangers qu’elles peuvent représenter (tel l’éphédra qui augmente la tension artérielle). Les herboristes médicaux avancent que les multiples composants actifs présents dans chaque herbe agissent sur l’organisme par une combinaison de synergies et d’antagonismes qui permettraient de maximiser les bénéfices, tout en neutralisant les effets secondaires. Certains estiment même que c’est la coévolution des plantes et des animaux herbivores au cours de plusieurs millions d’années qui aurait permis cette adaptation.

Ni le Valium ni le kava ne doivent être la principale réponse aux problèmes d’anxiété. L’exercice physique, l’arrêt de la caféine, la méditation et la psychothérapie sont des solutions plus efficaces et plus saines que l’ingestion de substances, même « naturelles ». Mais plutôt que le recours a l’alcool et avant d’opter pour les benzodiazépines ou les antidépresseurs, le kava offre une nouvelle option prometteuse.

Espérons que de plus amples études suivront et que nous comprendrons bientôt mieux comment l’activité biologique des herbes diffère de celles des médicaments.

A lire : “Kava-Kava Extract WS 1490 Versus Placebo in Anxiety Disorders : a Randomized Placebo-Controlled 25-Week Outpatient Trial”, H. P. Volz, M. Kieser, “Pharmacopsychiatry 30”, (1997).

“Herbal Remedies in Psychiatric Practice”, A. H. C Wong, M. Smith et al., “Archives of General Psychiatry”, (1998).

M’inscrire Vous avez une question ?