Résilience aux traumatismes : juste une question de contrôle?

Mis à jour le 25 mars 2020

Dans le cadre du programme de recherche « projet 13-Novembre », une étude d’imagerie cérébrale intitulée Remember, dont l’Inserm est promoteur, s’intéresse aux réseaux cérébraux impliqués dans le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Des travaux qui donnent lieu à une publication Résilience aux traumatismes: juste une question de contrôle? dans la revue Science, le 14 février 2020.
Dirigée par le chercheur Inserm Pierre Gagnepain, cette étude montre que la résurgence intempestive des images et pensées intrusives chez les patients atteints de stress post-traumatique, longtemps attribuée à une défaillance de la mémoire, serait également liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux qui la contrôlent. Ces résultats permettent d’identifier de nouvelles pistes de traitement.
Remember s’attèle ainsi à une question majeure qui intrigue les neuroscientifiques depuis des années : pourquoi certaines personnes, ayant vécu un traumatisme, souffrent-elles de stress post-traumatique alors que d’autres ne développent jamais ce trouble ?
L’un des objectifs de l’étude publiée dans la revue Science, le 14 février 2020, est de déterminer s’il existe un lien entre les mécanismes de contrôle de notre mémoire et la capacité de résilience des individus.
« Nous avons focalisé ce programme de recherche sur les facteurs de protection et les marqueurs cérébraux associés à la résilience au traumatisme. C’est ce qui fait l’originalité de nos travaux par rapport aux études précédentes qui se focalisent plutôt généralement sur l’impact des chocs traumatiques sur la mémoire et son dysfonctionnement », souligne Pierre Gagnepain, chercheur Inserm et responsable scientifique de l’étude Remember.

Résumé 

Le 13 novembre 2015, un groupe de djihadistes islamiques a lancé une série d’attaques terroristes coordonnées dans la ville de Paris, en France. Les déclarations des témoins et les rapports de police étaient presque insupportables à entendre, mais pour les personnes directement touchées par les attaques, leurs expériences traumatisantes sont inoubliables. Comment les gens vivent-ils les souvenirs de ces terribles expériences lorsque les rappels de l’événement sont omniprésents ? Le blocage sélectif des souvenirs de l’événement est une stratégie d’adaptation courante, mais est-ce une bonne ? Les cliniciens seraient probablement sceptiques quant à la recommandation de cette stratégie, car elle est contre-productive pour de nombreux patients qui ont vécu un événement traumatisant. À la page 756 de ce numéro, Mary et al. (1) rapportent les différences neuronales qui contrôlent la récupération des souvenirs traumatiques chez 102 personnes qui ont été touchées par les attentats terroristes de Paris mais qui ont géré ces souvenirs de différentes manières: 55 ont développé un trouble de stress post-traumatique (SSPT), et 47 non.

L’étude Science : mieux comprendre l’origine des souvenirs intrusifs

D’après les modèles traditionnels du TSPT, la persistance des souvenirs intrusifs douloureux s’expliquerait par un dysfonctionnement de la mémoire, un peu à la manière d’un vinyle rayé rejouant en boucle les mêmes fragments de nos souvenirs. Au niveau anatomique, ces dysfonctionnements seraient visibles particulièrement au niveau de l’hippocampe, région clé pour la formation de la mémoire.
Par ailleurs, les tentatives de suppression par les patients de leurs souvenirs traumatiques ont longtemps été considérées comme un mécanisme inefficace. Au lieu de confronter ces images douloureuses pour les laisser dans le passé, le fait d’essayer de les chasser ou de les réprimer était plutôt perçu comme une stratégie négative, renforçant les intrusions et aggravant la situation des personnes souffrant de TSPT.
L’étude d’imagerie cérébrale Inserm publiée dans Science remet en cause certaines de ces idées, et émet l’hypothèse que la résurgence intempestive des images et pensées intrusives serait liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle de la mémoire (pour reprendre l’image précédente, le bras de la platine vinyle contrôlant la lecture des souvenirs). « Ces mécanismes de contrôle agissent comme un régulateur de notre mémoire, et sont engagés pour stopper ou supprimer l’activité des régions associées aux souvenirs, comme l’hippocampe », souligne Pierre Gagnepain dans un communiqué publié sur le site de l’Inserm.
(…)

Quelles sont les implications de ces travaux ?

Ces résultats permettent de questionner les idées reçues sur le trouble de stress post-traumatique et d’imaginer de nouvelles pistes de traitement.

Implications scientifiques  

D’une part, l’étude souligne que la persistance du souvenir traumatique n’est vraisemblablement pas uniquement liée à un dysfonctionnement de la mémoire, mais également à un dysfonctionnement des mécanismes de contrôle de la mémoire.
D’autre part, si l’on a longtemps considéré les processus de suppression des souvenirs à l’œuvre chez les individus victimes de stress post-traumatique comme problématiques et inefficaces (puisqu’ils permettaient aux souvenirs traumatiques de revenir à la charge de manière encore plus violente), l’étude montre que le problème n’est pas ce mécanisme en tant que tel, mais sa mauvaise réalisation par les réseaux cérébraux.
Les patients atteints de TSPT seraient en fait constamment en état de « suppression » de la mémoire, même en l’absence d’intrusion des souvenirs, afin de compenser ce système défaillant du contrôle de la mémoire. Reste à déterminer si ces difficultés de contrôle se sont instaurées après le traumatisme, ou étaient présentes avant, rendant l’individu plus vulnérable.

Implications thérapeutiques

À l’heure actuelle, la plupart des thérapies existantes proposées aux patients visent à recontextualiser les souvenirs problématiques, à faire prendre conscience qu’ils appartiennent au passé, et à réduire le sentiment de peur qu’ils suscitent.
Proposer des interventions déconnectées des événements traumatiques, stimulant les mécanismes de contrôle identifiés dans cette étude, pourrait être un complément utile pour entraîner les patients à mettre en place des mécanismes de suppression plus efficaces. « Tous les traitements impliquent aujourd’hui de se confronter au traumatisme, ce qui n’est pas toujours évident pour les patients. On pourrait imaginer que réaliser une tâche similaire à la méthode Think-No Think permette de stimuler les mécanismes de suppression, facilitant ainsi le traitement du souvenir traumatique dans les thérapies classiques », expliquent les chercheurs.

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